PAR LE Pr MARIE-FRANCE LE GOAZIOU*
LA VITAMINE D est une vitamine liposoluble, considérée comme une hormone stéroïde de par sa structure et ses fonctions. La 1,25-dihydroxyvitamine D (1,25(OH)-D), également appelée calcitriol, est le métabolite actif de deux formes différentes : la vitamine D2 ou ergocalciférol, et la vitamine D3 ou cholécalciférol. Pour les dosages alimentaires et médicamenteux, les microgrammes (µg) ou les unités internationales (UI) sont utilisés (1 µg = 40 UI ; 100 UI = 2,5 µg) ; pour les dosages sanguins, ce sont les nanomoles par litre (nmol/L) ou les nanogrammes par litre (ng/mL) (1 ng/mL = 2,5 nmol/L, 1 nmol/L = 0,4 ng/mL).
Métabolisme de la vitamine D et ses effets.
La vitamine D2 ou ergocalciférol se trouve naturellement dans certains végétaux non consommés par l’homme. La vitamine D3 ou cholécalciférol a une origine exogène par l’alimentation et endogène par la synthèse cutanée. Les principaux sites de stockage de la vitamine D sont le tissu adipeux et les muscles. La fonction principale de la vitamine D, hormone calciotrope, est le maintien de l’homéostasie calcique pour une minéralisation optimale des os, des dents, tout au long de la vie, pendant, mais aussi, après la croissance. Les seuils reconnus internationalement depuis 2008 sont : taux optimal = 75 à 200 nmol/L, insuffisance = 50 à 75 nmol/L, carence modérée = 30 à 50 nmol/L, carence sévère = inférieure à 30 nmol/L.
De très nombreuses études montrent qu’une carence en vitamine D entraîne une hyperparathyroïdie secondaire avec une diminution de la densité osseuse chez les enfants et les adultes jeunes ; les nouveau-nés de mères carencées ont aussi une masse osseuse moins importante. Il existe également une forte association entre carence et force musculaire en particulier chez les personnes âgées ou jeunes très carencées. Beaucoup d’autres effets sont suspectés et étudiés, concernant les maladies auto-immunes, dont le diabète de type 1, les cancers, la pression artérielle et interrogent sur le taux optimal de vitamine D pour les populations.
Les études en Rhône Alpes.
Le Dr S. Belaid avait déjà constaté, l’hiver 2006, une carence en vitamine D chez 99 % de 96 femmes voilées de la région lyonnaise, parmi lesquelles 82,5 % avaient une carence sévère (taux inférieur à 30 nmol/l). Une étude prospective multicentrique a ensuite été menée pendant l’hiver 2008, grâce à la participation de 13 médecins généralistes. Dans ce travail, 196 femmes âgées de 19 à 50 ans, parmi lesquelles 61 étaient voilées et 135 ne l’étaient pas, ont été recrutées. Les taux de vitamine D et de PTH ont été dosés. Les données concernant l’IMC, le phototype, le sport pratiqué, l’ensoleillement, la qualité de vie, les douleurs et la couverture sociale ont été recueillies.
La surprise est venue des résultats constatés chez les femmes non voilées qui sont apparues très carencées en hiver (voir tableau).
Une seule femme avait un taux › 75 nmol/L, mais avait reçu 100 000 UI un mois avant le dosage.
Si le facteur « vêtement couvrant » constituait le facteur principal d’une carence profonde, d’autres facteurs ont aussi été constatés tels un phototype foncé, un IMC supérieur à 30, la précarité (marquée par la détention de la CMU), comme c’est le cas dans les études internationales. Ne pas faire de sport ou le pratiquer en salle et ne pas avoir de vacances à la montagne ou à la mer pendant l’été, apparaissent comme des facteurs significatifs de carence. En revanche, l’usage de crème solaire est plutôt un signe de bonne exposition solaire et n’est pas un facteur de carence. Les apports alimentaires apparaissent très en deçà des apports conseillés de 5 µg par jour. L’analyse de la qualité de vie mesurée par le SF 12 montre que les femmes carencées ont plus de douleurs, mais qu’elles ne sont pas dépressives.
Les femmes jeunes restent carencées en fin d’été.
Une autre étude réalisée chez 173 femmes de Rhône Alpes avec le même protocole, mais en fin d’été a mis en évidence une carence sévère (< 30 nmol/L) chez 10 % des femmes non voilées et chez 72 % des femmes voilées, une carence modérée chez 29,4 % des femmes non voilées, une insuffisance chez 35,8 % des femmes ne portant pas de vêtements couvrants. Seulement 18,5 % de l’ensemble de ces femmes avaient un taux de vitamine D supérieur à 75 nmol/L. Avec des taux bas en fin d’été, les femmes jeunes, qui consomment en moyenne la moitié des rations recommandées de vitamine D dans leur alimentation, se trouvent très carencées en fin d’hiver, expliquant peut-être certains états de fatigue et de douleurs musculo-squelettiques (dorsalgies en particulier en fin d’hiver).
Les hommes jeunes et les femmes âgées.
En hiver, 27 % d’un échantillon de 281 patients de sexe masculin, âgés de 19 à 59 ans étaient très carencés (< 30 nmol/L) ; 41 % avaient un taux de vitamine D situé entre 30 et 50 nmol/l. 68 % de ces hommes avaient donc un taux inférieur à 50 nmol/L et seulement 6 % avaient un taux supérieur à 75 nmol/L. Le sport en extérieur et les vacances apparaissent comme protecteurs tandis que le phototype, la précarité, l’habitat sont des facteurs de risque, la carence en vitamine D étant corrélée à une moins bonne qualité de vie mesurée dans cette étude avec les cartes WONCA COOPS.
Cette carence importante se retrouve chez 419 femmes âgées consultant leurs médecins généralistes. Elle est majeure (<30nmol/l) pour 43 % des femmes âgées de 50 à 59 ans, pour 32 % de celles âgées de 60 à 69 ans et 24 % de celles âgées de 70 et 79 ans.
Or la correction de la carence divise par deux les coûts de santé à un an, par une diminution des consultations, des examens complémentaires et des consommations médicamenteuses.
Il y a donc urgence en France, car ces résultats sont constatés dans toutes les régions, de prendre en compte les facteurs de risque de carence des adultes jeunes qui sont en priorité les vêtements couvrants, le phototype, l’IMC, la précarité (CMU), l’absence de sports en extérieur et de vacances ensoleillées :
- Un dosage de vitamine D doit être effectué devant un tableau de douleur musculo-squelettique ou de fatigue inexpliquée, surtout en hiver ;
- Une exposition solaire d’une dizaine de minutes par jour entre 12 et 16 heures, de juin à septembre, corps entier, est suffisante pour assurer des réserves sans craindre les conséquences néfastes ; les crèmes solaires doivent ensuite s’appliquer régulièrement ;
- Des aliments enrichis en vitamine D à des prix accessibles pourraient, pour les sujets les moins à risque, permettre de garder un taux suffisant de vitamine D.
- Une correction des carences majeures est nécessaire pour éviter les microlésions osseuses, suivie d’une supplémentation régulière pour les personnes les plus à risques [2].
*Médecin généraliste, professeure associée de médecine générale, coordonnatrice du DES de médecine générale. à Lyon, et Faculté de médecine, Lyon.
Remerciements aux partenaires de ces travaux (Le département de médecine générale de Lyon, le collège Lyonnais des enseignants généralistes, le Pôle Information Médicale Evaluation Recherche des hospices civils de LYON, le CRNH RA (Centre recherche en Nutrition Humaine Rhône Alpes) et le Laboratoire Santé, Individu, Société EA-SIS 4129, les laboratoires BIOMNIS ET DIA SORIN, les investigateurs, les docteurs Belaid S, Contardo G, Quinault P, Martinand N, Lablanqui J, Gérard A, Morel E.
Références
1.Holick MF, Chen TC: Vitamin D deficiency: a worldwide problem with health consequences. Am J Clin Nutr 2008, 87(4):1080S-1086S.
2.Souberbielle JC, Prie D, Courbebaisse M, Friedlander G, Houillier P, Maruani G, Cavalier E, Cormier C: [Update on vitamin D and evaluation of vitamin D status]. Ann Endocrinol (Paris) 2008, 69(6):501-510.
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