Ostéoporose et insuffisance rénale ne font pas bon ménage, les traitements anti-ostéoporotiques étant généralement contre-indiqués en cas de défaillance de la fonction rénale. Pour les antirésorbeurs les plus puissants (bisphosphonate et dénosumab), cette contre-indication doit être modulée en fonction du degré d’insuffisance rénale et du médicament. En effet, les bisphosphonates peuvent être administrés si la clairance de la créatinine est supérieure à 30-35 ml/mn. Quant au dénosumab, dont la dégradation et l’élimination sont entièrement extrarénales, il n’a pas cette limite d’administration. Néanmoins, la prescription d’un antiostéoclastique puissant à un insuffisant rénal chronique (IRC) doit être très prudente pour deux raisons principales. Le risque d’hypocalcémie induite par le traitement est plus important : il doit être anticipé (suppléments en calcium et vitamine D) et surveillé. La seconde raison est la conséquence du blocage prolongé du remodelage osseux sur le risque cardiovasculaire par augmentation des calcifications artérielles.
Les bisphosphonates à risque de progression de l’IRC
Moins connue est la question de l’aggravation de la fonction rénale par un tel médicament. Elle est abordée dans deux publications très récentes, l’une concernant les bisphosphonates oraux (1) et la seconde le dénosumab (2).
L’objectif de la première étude était d’évaluer la sécurité des bisphosphonates oraux chez les patients atteints d’IRC modérée à sévère. Les auteurs ont étudié les dossiers électroniques de deux cohortes de soins primaires : CPRD GOLD (1997-2016) au Royaume-Uni et SIDIAP (2007-2015) en Catalogne. Dans ces deux cohortes, les patients atteints d’IRC modérée à sévère (stade 3b-5) nouveaux utilisateurs de bisphosphonates (n = 2 447 CPRD et 1 300 SIDIAP) ont été appariés avec un score de propension jusqu'à 5 non-utilisateurs (n = 8 931 CPRD et 6 547 SIDIAP) afin de minimiser les facteurs de confusion. L'utilisation de bisphosphonate était associée à un risque plus élevé – modeste (environ 15 %), mais significatif – de progression de l'IRC dans les deux cohortes : HR = 1,14 [1,04, 1,26] dans la cohorte CPRD et HR = 1,15 [1,04, 1,27] pour SIDIAP. L’analyse des effets secondaires n’identifiait pas de différence de risque pour les lésions rénales aiguës, les hémorragies par ulcères gastro-intestinaux ou l'hypocalcémie.
Peu d’aggravations sous dénosumab
Pour le dénosumab, la méthodologie est différente. Il s’agit d’une analyse post hoc de la tolérance et de l'efficacité à long terme du dénosumab chez les femmes atteintes d'IRC légère à modérée (stades 2 et 3) en utilisant les données de l'étude FREEDOM et de son extension jusqu’à 10 ans. Près de deux tiers des participants avec une IRC initiale de stade 2 ou 3 sont restés dans le même sous-groupe IRC à la fin de l'étude et moins de 3 % sont passés au stade 4. Le pourcentage de participants rapportant des événements indésirables graves (EIG) était similaire (environ moitié des patients) dans les différents sous-groupes de fonction rénale (normale, stade 2, 3a ou 3b), sauf chez les femmes ayant reçu le placebo pendant 3 ans et le dénosumab dans l’extension de 7 ans, dont plus de deux tiers ont eu un EIG. Enfin, l’efficacité était comparable quel que soit le statut rénal, avec un gain similaire de densité minérale osseuse lombaire et fémorale et une faible incidence de fractures.
Ces données, pour rassurantes qu’elles puissent paraître, ne doivent pas nous écarter d’une ligne de conduite claire dans la prescription des bisphosphonate et du dénosumab chez les insuffisants rénaux. Le dénosumab est le premier choix si la clairance de la créatinine est basse (autour de 35 ml/mn), avec prudence liée au risque d’hypocalcémie. En cas d’insuffisance rénale plus sévère (qui est aussi un facteur de risque de fragilité osseuse et de fractures) la décision d’un traitement antirésorbeur ne peut être prise qu’après une discussion collégiale entre rhumatologues et néphrologues.
Service de rhumatologie de l'hôpital Lariboisière (Paris)
(1) Robinson DE, et al. Safety of oral bisphosphonates in moderate-to-severe chronic kidney disease: a bi-national cohort analysis. J Bone Miner Res 2020 ; Dec 29 : doi: 10.1002/jbmr.4235. Online ahead of print
(2) Broadwell A. Denosumab safety and efficacy among subjects in the FREEDOM extension study with mild-to-moderate chronic kidney disease. J Clin Endocrinol Metab 2020; Nov 19. doi: 10.1210/clinem/dgaa851. Online ahead of print
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