Le Quotidien du médecin : Pourquoi avoir élaborer des recommandations spécifiquement dédiées au traitement non pharmacologique de la gonarthrose ?
Pr Yves Marie Pers : La SFR ayant émis en 2020 des recommandations sur le traitement pharmacologique de la gonarthrose, l'idée était de poursuivre ces travaux en faisant le parallèle avec la prise en charge non pharmacologique. On parle souvent des traitements pharmacologiques et peu des interventions non médicamenteuses alors que le niveau de preuve est parfois aussi important voire plus important.
Mais plusieurs études qualitatives récentes soulignent à la fois le manque de confiance des patients envers une prise en charge jugée « simpliste » et les réserves de certains soignants quant aux résultats et à l’applicabilité de ces traitements.
Il y avait donc un vrai besoin de faire le point sur les bénéfices de ces traitements et sur ce que l'on peut en attendre.
Plusieurs sociétés ou organismes internationaux avaient déjà émis des recommandations sur la gonarthrose, incluant l’aspect non-pharmacologique mais il était important d'avoir un texte national qui tienne compte de notre système de soin et de certaines spécificités françaises comme les cures thermales ou les pratiques rééducatives.
Il nous semblait aussi important d'avoir des recommandations négatives car il y a des pratiques, souvent non remboursées, qui sont réalisées malgré un faible niveau de preuve.
Quels sont les grands messages de ces recommandations ?
Le message principal c’est que tout patient atteint d’arthrose symptomatique du genou devrait bénéficier d’un traitement de fond non pharmacologique comportant de l’activité physique, de l’éducation à la maladie et un contrôle pondéral, si nécessaire. Ces trois éléments sont les piliers de la prise en charge non médicamenteuse, avec un haut niveau de preuve.
L'éducation des patients a démontré son intérêt à la fois pour réduire les symptômes et améliorer l’adhésion du patient aux mesures non-pharmacologiques. Malheureusement, on se heurte à l’insuffisance et l’hétérogénéité des ressources disponibles qui doivent être mieux structurées pour une prise en charge optimale. Car l’arthrose n’étant pas une ALD, elle ne fait pas l’objet de programme d’éducation thérapeutique structuré.
L'activité physique constitue un autre élément fort de la prise en charge, quel que soit le stade de la maladie. Aujourd’hui, la question n’est plus de démontrer son intérêt chez les sujets ayant de l'arthrose mais de savoir le type d'activité physique le plus adapté au profil des sujets. En parallèle, les recommandations mettent l’accent sur la kinésithérapie avec des exercices plus spécifiques (mobilisation articulaire, travail d’endurance, de renforcement musculaire et d’étirement), pour un effet additif par rapport à l’activité physique. C’est un élément important mais souvent négligé alors qu’en théorie la kinésithérapie est indiquée dès qu'il y a une limitation articulaire.
La prise en charge nutritionnelle est aussi un enjeu majeur, le surpoids étant l'un des grands facteurs de risque de gonarthrose. Chez les sujets en excès pondéral l’idée est de travailler sur une perte de poids régulière et encadrée, d’au moins 5%, tout en maintenant un certain niveau d'activité physique pour éviter la fonte musculaire. Chez un sujet de 90 kg environ, une perte de poids de 5kg permet une diminution des douleurs de 10%. J’aime bien partager ces chiffres avec les patients, pour leur montrer qu’on est sur des objectifs atteignables.
Sur le plan nutritionnel, il y a aussi beaucoup de questions de patients sur les probiotiques, les prébiotiques, les régimes, les compléments alimentaires, etc. souvent sujets à de fausses croyances. Nous avons fait un point complet de la littérature. Vu l’hétérogénéité et la faible qualité des études, on peut dire très clairement qu’il n’y a aucune raison de privilégier tel ou tel aliment, complément ou régime, si ce n’est conseiller un régime de type méditerranéen.
Que peut-on espérer d’un traitement non pharmacologique par rapport au traitement pharmacologique ?
Les interventions pharmacologiques n’ont aucun impact structural, les bénéfices étant sur la douleur et la fonction.
Par rapport aux traitements médicamenteux, quand on raisonne en taille d’effet, on est entre 0,2 et 0,4 pour le paracétamol, entre 0,5 et 0,7 pour les anti-inflammatoires, entre 0,4 et 0,5 pour l’activité physique et entre 0,5 et 0,6 pour la kinésithérapie. Soit des tailles d’effet relativement similaires.
Cependant, les traitements antalgiques médicamenteux correspondent à une approche ponctuelle au moment d'une phase aiguë alors que les traitements non pharmacologiques, s’entendent sur le long cours.
Ce qui posent la question de l’observance ?
En effet, il y a à la fois des difficultés de mise en place et d’observance. Dans la gonarthrose, l’adhésion des patients, en particulier vis-à-vis des exercices physiques, décroit rapidement, avec une diminution d’à peu près 30% au-delà de 3 mois. Ce qui suppose de mettre en place une organisation qui permette de stimuler régulièrement les patients. Une solution pourrait venir des outils connectés, avec des envois d'alerte. Cela pourrait d’ailleurs être un objectif de recherche dans le futur…
Concernant la recherche justement, votre travail pointe aussi les lacunes de la littérature pour certaines interventions …
Effectivement, on a pu observer que beaucoup de techniques antalgiques utilisées actuellement apportent un bénéfice peu voire pas démontré car insuffisamment documenté. Il s’agit notamment, des techniques de bandages (kinesiotaping), de toutes les techniques de physiothérapie par ultrasons, les ondes électromagnétiques ou encore la thermothérapie.
Il faudrait mener davantage d'études, plus robustes et plus rigoureuses, pour que l’on puisse considérer que ces techniques sont efficaces dans la prise en charge des sujets gonarthrosiques. Je pense que cela peut se faire. Pour l’électrostimulation par exemple, au moment où nous avons analysé la littérature, les données étaient insuffisantes pour émettre un avis positif. Mais depuis, il y a eu une étude française bien conduite qui montre un bénéfice du Tens et pourrait amener à réactualiser notre recommandation.
Globalement les traitements non pharmacologiques sont de plus en plus pris en considération en rhumatologie ?
C'est un sujet qui émerge peu à peu. Par exemple, il y a eu récemment des recommandations sur les aspects nutritionnels dans les rhumatismes inflammatoires. Autre exemple, la HAS a retenu dans ses indications prioritaires d’activité physique, les rhumatismes inflammatoires, l’ostéoporose et l’arthrose des membres inférieurs.
J'ai l'impression que l’on met davantage l’accent sur ces mesures non pharmacologiques et c’est une bonne chose. Ceci-dit, pour le moment, il n'y a toujours pas de réel remboursement ni d'actes forts dans ce sens….
* Société Française de Rhumatologie
** Société Française de Médecine Physique et de Réadaptation
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?