Les lombalgies ne sont pas mortelles, mais pèsent lourdement sur la capacité à faire des populations à travers le monde. C’est le message que continue à porter dans le Lancet en 2015 la Global Burden of Disease Study, énorme étude épidémiologique supportée par la fondation Gates, évaluant l’impact de 300 conditions morbides dans près de 200 pays (1-3). L’analyse de plus de 35 000 bases de données montre que pour l’année 2013, les lombalgies – essentiellement disco-vertébrales communes – restent la première des affections pourvoyeuses d’incapacité sur la planète. Le critère utilisé est ici le nombre d’années de vie passées avec incapacité (1). Ce constat déjà fait pour l’année 1990, concerne les pays riches, l’Europe centrale et de l’est, l’Asie, l’Amérique latine, l’Afrique du nord et le Moyen orient. La région d’Afrique sub-saharienne, touchée en premier lieu par d’autres maux, fait exception. Les années de vie ajustées sur l’incapacité ou DALYs pour Disability-Adjusted Life Years, sont un autre critère utilisé pour les études d’impact des maladies. Il s’agit d’un indice composite correspondant aux années de vie en bonne santé perdues par mortalité prématurée ou incapacité. Associées aux cervicalgies, et sur la base de ce critère, les lombalgies sont également la première cause de réduction de l’espérance de vie en bonne santé dans les pays riches (2,3). Le poids relatif des années de vie perdues par mortalité prématurée et des années de vie avec incapacité varie entre les régions du globe, en fonction de leur statut sociodémographique. La mortalité prématurée tend à moins peser à mesure que le statut sociodémographique s’améliore et inversement, l’incapacité s’alourdit. Les données disponibles sur nos voisins anglais indiquent également une variation relative au cours du temps (3). Globalement, leur santé s’est améliorée entre 1990 et 2013, mais cette amélioration apparaît beaucoup plus nette en termes de mortalité qu’en termes d’incapacité. Les lombalgies et l’incapacité qu’elles génèrent sont donc plus que jamais une réalité préoccupante de premier ordre.
Maintien de cap thérapeutique
Face à cette réalité, la révolution thérapeutique toujours attendue, n’a pas eu lieu en 2015. Bien entendu, l’actualité concernant le traitement des affections discovertébrales communes est riche. Mais plus qu’à un changement d’orientation radical, elle incite au maintien d’un cap à maturation lente. Certains y verront peut-être en filigrane que les moyens pertinents sont désormais identifiés et que manquent à l’appel uniquement les conditions d’une application adaptée aux enjeux.
Ainsi, une méta-analyse regroupant 14 essais randomisés, rend indubitable l’intérêt de propos adaptés, de première intention, en cas de lumbago (4). Le principe actif évalué est ici l’éducation visant à la réassurance du patient. L’effet observé est une amélioration en termes de peurs, anxiété, détresse et catastrophisme, précocement et à un an. La qualité de la preuve obtenue est qualifiée de modérée à haute. Cet effet est accompagné d’une diminution du recours aux soins, et paraît plus marqué quand le message de réassurance est prodigué non pas par des auxiliaires médicaux, mais par le médecin généraliste. Tout aussi indubitable, l’absence d’intérêt cette fois, d’un programme d’exercices physiques également dans le lumbago (5). C’est la conclusion négative d’un essai randomisé méthodologiquement irréprochable. Au cours des lombalgies chroniques, l’effet de prises en charge multidisciplinaires, ciblant les déterminants organiques, physiques, psychologiques et sociaux du handicap, est conforté par une méta-analyse de 41 essais randomisés (7 000 patients) [6]. Les programmes multidisciplinaires font mieux que les soins usuels ou que le traitement physique en monothérapie, en termes de douleur et de fonction. L’impact sur le travail reste mitigé. La comparaison à la chirurgie pour lombalgies chroniques révèle pour seule différence un taux d’événements indésirables plus élevé chez les patients opérés.
L’argumentaire en faveur d’une stratégie thérapeutique graduée au cours des lombalgies discovertébrales communes progresse donc encore, en soulignant l’intérêt de mesures non médicamenteuses adaptées aux profils des patients. Faut-il pour autant négliger les moyens pharmacologiques usuels ? Les résultats provocants d’une méta-analyse très commentée pourraient le laisser penser (7). Le paracétamol n’aurait pas d’effet au cours des lombalgies. Cette conclusion est toutefois fragile. Elle ne repose que sur les résultats groupés de 3 études, dont 2 dans le cadre de lombalgies aiguës et une réalisée chez 40 patients lombalgiques chroniques préalablement sous opioïdes. Elle ne s’attarde pas sur le profil de tolérance clinique intéressant du médicament. Par ailleurs 2 essais randomisés soulignent l’effet des AINS au cours des lombalgies communes sans nous permettre d’apprécier le rapport bénéfice/risque de ce traitement, ni de le mettre en perspective avec celui d’un traitement antalgique (8,9). Les effets secondaires liés aux AINS dans ces publications n’y sont tout simplement pas analysables. À défaut des atours d’une efficacité majeure, le paracétamol pourrait garder ceux d’une humble utilité au quotidien …au moins jusqu'en 2016 !
Hôpital Lariboisière – Fernand Widal, université Paris 7, Paris
(1) Global Burden of Disease Study 2013 Collaborators. Lancet 2015;386:743-800
(2) GBD 2013 DALYs and HALE Collaborators. Lancet 2015;386:2145-91
(3) Newton JN et al. Lancet 2015;386:2257-74
(4) Traeger AC et al. JAMA Intern Med 2015;175:733-43
(5) Fritz JM et al. JAMA 2015;314:1459-67
(6) Kamper SJ et al. BMJ 2015;350:h444
(7) Machado GC et al. BMJ 2015;350:h1225
(8) Friedman BW et al. JAMA 2015;314:1572-80
(9) Bedaiwi MK et al. Arthritis Care Res 2015;doi:10.1 002/acr.22753.
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