Ce sont les travaux de Charles Huggins en 1941, concluant à la responsabilité de la testostérone dans la genèse du cancer de la prostate, qui ont conduit à proposer la castration chirurgicale ou médicale dans cette indication.
L'impact délétère de la testostérone sur les cellules prostatiques est aujourd'hui remis en cause à la lumière de nouvelles données. « Des travaux menés il y a quelques années avec le finastéride avaient retrouvé une moindre incidence du cancer de la prostate chez les patients traités par cet inhibiteur de la 5-alpha réductase », rappelle le Pr Yann Neuzillet. Les espoirs suscités par cette découverte ont toutefois été vite déçus, puisque chez les hommes développant un cancer de la prostate, la tumeur était plus agressive en cas d'hypogonadisme induit.
« Parallèlement, la mise en évidence dans différentes cohortes concernant des patients hypogonadiques, de tumeurs de la prostate plus agressives avait également conduit à mener différentes études pour analyser le lien entre testostérone et cancer », poursuit le Pr Neuzillet. Mais leurs résultats ont été contradictoires, sans doute du fait des modalités sous-optimales de dosage de la testostérone.
Plus de tumeurs agressives chez les hypogonadiques
C'est dans ce contexte qu'a été menée AndroCan, étude prospective multicentrique française promue par le service d'urologie de l'hôpital Foch. Ce travail, a la grande rigueur méthodologique (le dosage de la testostérone totale et biodisponible a été réalisé par spectrométrie de masse), a inclus 1 343 patients devant bénéficier d'une prostatectomie radicale pour une tumeur localisée de la prostate. Les dosages préopératoires de testostérone ont été confrontés aux scores de Gleason. Deux-tiers des patients avaient une tumeur peu agressive (Gleason 3), tandis qu'un tiers avait une tumeur plus agressive (Gleason 4). Le taux de pièces opératoires stratifiées en grade 4 a été plus élevé chez les sujets hypogonadiques (testostérone biodisponible et totale abaissée) que chez les sujets eugonadiques (testostérone biodisponible et totale normale) : 47,5 % vs 29,9 % (p = 0,004). Et la proportion d'hommes en hypogonadisme était plus élevée chez ceux ayant un score de risque plus élevé : 17,4 % vs 10,7 % (p < 0,001) si l'on s'intéresse à la testostérone biodisponible (taux < 80 ng/dl) et 14,2 % vs 9,7 % (p < 0,02) si l'on prend en compte la testostérone totale (taux < 300 ng/dl). « Ces résultats ont plusieurs implications pratiques potentielles », souligne le Pr Neuzillet.
Affiner l'évaluation du risque
Ils confirment tout d'abord l'intérêt du dosage de la testostérone totale et biodisponible lors de l'évaluation de l'agressivité de la tumeur, afin de ne pas méconnaître certains hypogonadismes. Ce dosage permet ainsi d'affiner encore l'évaluation du risque de cancer agressif, qui dicte l'attitude thérapeutique ultérieure.
Ceci est notamment très important lorsqu'une surveillance active est envisagée. « Les biopsies tendent à sous-estimer le score de Gleason, et en cas de Gleason faible, il faut donc être particulièrement méfiant en présence d'un hypogonadisme », rapporte le Pr Neuzillet.
Mais l'impact de ces résultats concerne aussi de façon plus large les hommes de plus de 50 ans ayant un hypogonadisme, dont le retentissement est multiple : troubles de la libido et dysfonction érectile, altération de l'humeur, atrophie musculaire et baisse de la densité minérale osseuse, obésité abdominale, troubles du métabolisme glucidique…
« Jusqu'alors les médecins étaient réticents à traiter un hypogonadisme par de la testostérone, indique le Pr Yann Neuzillet. Ces résultats démontrent qu'il ne faut plus priver de ce traitement les hommes qui en souffrent, après avoir éliminé un cancer de la prostate par un toucher rectal et le dosage du PSA. Il ne faut donc pas hésiter à rechercher une andropause et à proposer une prise en charge hormonale ».
D'après un entretien avec le Pr Yann Neuzillet, service d’urologie, hôpital Foch (Suresnes).
(1) Neuzillet Y et al. Aggressiveness of Localized Prostate Cancer: the Key Value of Testosterone Deficiency Evaluated by Both Total and Bioavailable Testosterone: AndroCan Study Results. Horm Cancer. 2019 Feb;10(1):36-44.
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