PAR LE Pr BERNARD CANAUD*
LA PREMIÈRE GÉNÉRATION d’érythropoïétines (rHu-EPO) recombinantes humaines (époétine alfa, Eprex, Janssen-Cilag ; époétine bêta, NéoRecormon, Roche) était administrée de une à trois par semaine selon la voie d’administration (IV ou SC) avec une efficacité largement prouvée chez les insuffisants rénaux quel que soit leur statut dialysé ou non. Dix ans plus tard, le développement et la production d’analogues de l’EPO à longue durée d’action a permis d’espacer les doses administrées. La darbepoetine alfa (Aranesp, Amgen), chef de file d’une nouvelle classe, les agents stimulants l’érythropoïèse (ASE) de longue durée d’action, a permis d’espacer la fréquence d’administration, tout en conservant la même efficacité. Dans le même temps, il a également été prouvé qu’avec ce type d’ASE, la voie d’administration (intraveineuse ou sous-cutanée) n’avait plus d’impact sur la dose traduisant une biodisponibilité et une pharmacodynamie équivalentes. Récemment, un nouvel ASE, activateur continu du récepteur de l’érythropoiétine (Continuous Erythropoetin Receptor Activator, CERA, méthoxy polyéthylène glycol-époétine bêta, Mircera, Roche), à très longue durée d’action, vient d’être commercialisé. Il permet un espacement encore plus important des administrations (une fois par mois).Avec cet ASE, la voie d’administration n’affecte pas la posologie et confirme de ce fait que la pharmacocinétique des voies IV ou SC est superposable chez les insuffisants rénaux.
La souplesse de prescription permise par ces ASEs a largement contribué à l’amélioration du traitement de l’anémie des insuffisants rénaux.
Des EPO-mimétiques en développement.
De nouveaux agents stimulants l’érythropoïèse s’apparentant à des EPO-mimétiques sont en cours d’évaluation clinique. Le plus avancé est Hematide (Affimax), un peptide de 20 acides aminés capable d’activer le récepteur de l’EPO et de stimuler la voie de signalisation intracellulaire conduisant à la production d’érythrocytes. Le pouvoir activateur de ce petit peptide a été renforcé par pégylation, ce qui lui confère un profil pharmacocinétique de très longue durée d’action. Les essais cliniques en cours suggèrent que l’administration mensuelle (par voie veineuse ou sous cutanée) d’Hematide permet une correction adéquate de l’anémie chez les insuffisants rénaux. Il a été également été démontré que ce peptide n’était pas reconnu par les anticorps anti-érythropoïétines.
D’autres ASE sont en cours de développement ou d’évaluation clinique, ils sont apparentés à des familles de peptides à action EPO-mimétique ou à des substances assurant une stabilisation du facteur intracellulaire induit par l’hypoxie (HIF, hypoxemia inducible factor), lui-même promoteur de sécrétion endogène d’EPO. Il y a de nombreuses autres voies de recherche visant à accroître l’efficacité de l’érythropoïèse, qui ne sont pas encore en phase clinique, mais permettent d’envisager une réduction de la néocytolyse intramédullaire. Parmi celles-ci, retenons l’inhibition de la prolyl hydroxylase, de GATA ou même la production d’EPO endogène par voie génique.
De la correction de l’anémie à l’optimisation du traitement de l’anémie.
Le niveau optimal de correction de l’anémie demeure sujet de controverse chez les insuffisants rénaux. Initialement, la correction partielle de l’anémie (Hb comprise entre 10 et 12 g/dl) par ASE avait permis d’améliorer la qualité de vie des patients, de faire disparaître la symptomatologie fonctionnelle, de supprimer les transfusions sanguines, de réduire l’hypertrophie ventriculaire gauche et de ralentir la progression de la maladie rénale chronique. Encouragées par ces résultats, plusieurs études interventionnelles ont été menées pour évaluer l’effet d’une correction complète de l’anémie (Hb comprise entre 12 et 14 g/dl). Les différents essais conduits chez les insuffisants rénaux chroniques dialysés (Normal Hematocrit Study) ou non-dialysés (CREATE, CHOIR, TREAT) n’ont pas été en mesure de confirmer les effets bénéfiques attendus. L’incidence des événements cardio-vasculaires et, en particulier, des accidents vasculaires cérébraux s’est même révélée plus élevée. Les autorités scientifiques internationales et les différentes agences de régulation de santé et des médicaments ont néanmoins considéré que le niveau optimal de correction de l’anémie d’un insuffisant rénal se situait entre 10,5 et 12 g/dl d’hémoglobine et ce quel que soit son statut (dialysé, non dialysé) et sa pathologie associée. Soulignons cependant que plusieurs études observationnelles ont parfaitement établi que le temps passé sous une valeur seuil de 11 g/dl représentait un facteur de risque cardio-vasculaire bien plus important. En pratique, une approche personnalisée et individualisée du taux d’hémoglobine ciblé tenant compte du rapport bénéfices/risques est certainement plus souhaitable. La variabilité du taux d’hémoglobine (fluctuation moyenne de l’ordre de 1,0 g/dl par année) est apparue au cours de ces dernières années comme un facteur de risque cardio-vasculaire indépendant. L’utilisation d’ASE à longue durée d’action qui permet de réduire la fréquence des changements de dose serait en mesure de minimiser ces fluctuations.
De la supplémentation martiale à l’optimisation de l’apport et des besoins martiaux.
Le fer est indispensable à l’érythropoïèse. Les réserves en fer sont souvent insuffisantes chez l’insuffisant rénal dialysé ou non dialysé du fait de pertes insensibles accrues (digestives, prélèvements, circuit sanguin…), d’apports alimentaires insuffisants et d’absorption digestive limitée. Cette carence martiale est nettement aggravée par un élément fonctionnel lié à l’activation de l’érythropoïèse induite par l’administration d’ASE. C’est la raison pour laquelle l’apport de fer intraveineux est actuellement reconnu comme la seule méthode efficace chez les insuffisants rénaux. Les besoins martiaux sont de l’ordre de 1 000 à 3 000 mg de fer IV par an chez les insuffisants rénaux. Seule la voie veineuse est en mesure de répondre efficacement à de tels besoins. Différentes préparations de fer intraveineux existent dont certaines sont commercialisées en France.
De façon générale, les molécules de fer forment des complexes ferriques emprisonnées dans une molécule vectrice de grande taille dont l’enveloppe est faite d’un sucre polymérisé. Ce dernier assure un relargage lent et progressif du fer dans la circulation et évite la toxicité du fer libre ou résiduel. Les solutions complexes ferriques dextrans sont toujours entachées de souvenirs historiques liés à la survenue de réactions anaphylactiques gravissimes par immunisation anti-dextran. Il faut préciser qu’il s’agissait alors de dextrans de haut poids moléculaire plus immunogènes et instables qui ont été retirés depuis lors du commerce. Les dextrans de bas poids moléculaires actuellement utilisés apparaissent beaucoup plus stables et peu immunogènes. De fait, la prescription de solutions de fer dextrans bas poids moléculaire (complexe hydroxyde ferrique dextran BPM, Ferristat®, HAC Pharma) apparaît beaucoup plus sûre à l’heure actuelle. Cela dit, des réactions d’hypersensibilité ont été rapportées. C’est la raison pour laquelle, les solutions injectables à base de fer complexé dans des polymères de sucre non dextran ont été développées ces dernières années. L’efficacité et la sécurité d’emploi de ces différentes formules ont été largement démontrées dans les études cliniques contrôlées et par la pharmacovigilance postmarketing de ces produits. Plusieurs millions de doses de fer injectable sont administrées chaque année chez les insuffisants rénaux avec une sécurité qui s’apparente au risque zéro. Le fer sacharose (Complexe fer sacharose, Venofer, Vifor) est le chef de file de ces produits et bénéficie d’une très grande sécurité et d’une excellente efficacité. Notons que des solutions de fer sucrose similaires (Complexe hydroxyde ferrique saccharose, Mylan) injectables ont été développées mais nécessitent une évaluation clinique plus approfondie pour juger de leur stabilité et leur sécurité. D’autres formulations sont en cours d’essais cliniques et d’enregistrement, il s’agit du carboxymaltose ferreux (Ferinject, Vifor) et du ferumoxytol (AMAG).
*Néphrologie, Dialyse et Soins Intensifs – Hôpital Lapeyronie
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