ON SAIT AUJOURD’HUI que le blocage de l’angiotensine II exerce une certaine néphroprotection, indépendante de l’action antihypertensive, en bloquant l’un des facteurs profibrosants les plus importants, le TGF (transforming growth factor) bêta et la synthèse de collagène. Les antagonistes de l’angiotensine II ne peuvent cependant permettre une régression de la fibrose et une restauration ad integrum des tissus normaux.
Les recherches actuelles se sont donc plus précisément portées sur les différents événements à l’origine du processus fibrosant. Schématiquement, la formation de fibrose découle d’un déséquilibre du renouvellement de la matrice extracellulaire qui obéit à trois étapes successives : synthèse protéique, stabilisation de la matrice extracellulaire et catabolisme enzymatique. Chacune d’entre elles peut contribuer au développement d’une fibrose, par augmentation de la synthèse de protéines et/ou de leur stabilisation, ou bien par réduction des capacités de dégradation.
Les approches thérapeutiques principales se sont donc orientées, en miroir, selon trois axes : inhiber la synthèse protéique, notamment du collagène interstitiel (collagènes de type I et III), modifier de façon qualitative la matrice extracellulaire, de façon à la rendre plus sensible à la dégradation ou favoriser le catabolisme protéique en augmentant l’expression ou l’activité enzymatique.
S’opposer au TGF bêta.
Parmi les acteurs du processus fibrosant, le TGF bêta apparaît jouer un rôle majeur. Il stimule la synthèse protéique, inhibe la dégradation de la matrice extracellulaire, a un effet pro-apoptotique sur certains types cellulaires et favorise la transition épithélio-mésenchymateuse.
Dans de nombreux modèles expérimentaux de néphropathies chroniques avec fibrose rénale, on constate de fait une surexpression du TGF bêta et de ses récepteurs. L’inhibition du TGF bêta ou de sa voie de signalisation réduit l’importance de la fibrose. Les recherches se sont particulièrement portées vers deux molécules partageant la même voie de signalisation que le TGF bêta, mais qui exercent un effet inverse, antifibrosant : l’HGF (hepatocyte growth factor) et le BMP-7 (bone morphogenic protein-7). Il existe en outre de nombreuses molécules qui peuvent moduler cette voie de signalisation, comme le CTGF (connective tissue growth factor) : les propriétés antifibrosantes d’un anticorps anti-CTGF sont de fait actuellement étudiées.
La pirfénidone est également un agent à l’étude ayant montré, chez l’animal, et aussi dans le cadre d’essais cliniques, des propriétés antifibrosantes dans la fibrose pulmonaire, la sclérodermie et la cirrhose hépatique. Son mécanisme d’action semble aussi reposer sur une réduction de la production de TGF bêta, associée à un antagonisme de la signalisation du TNF alpha et à un effet antiradicalaire.
Une étude ouverte récente, menée chez des patients porteurs d’une hyalinose segmentaire et focale, a montré que celle molécule ralentit le déclin de la fonction rénale.
Autre candidat antifibrosant ayant fait l’objet d’études cliniques chez l’homme : le tranilast. Ce produit est déjà utilisé au Japon, pour ses propriétés antifibrosantes dans les cicatrices cutanées hypertrophiques et la sclérodermie. Il prévient aussi les resténoses vasculaires. Le tranilast induit une inhibition de la synthèse de la matrice extracellulaire favorisée par le TGF bêta, dans les fibroblastes cutanés, mais aussi les cellules étoilées hépatiques, les cellules musculaires lisses et les fibroblastes de l’interstitium rénal. Son développement a été ralenti en raison d’effets secondaires notamment hépatique.
Favoriser la dégradation de la matrice extracellulaire.
D’autres équipes se sont intéressées plus récemment aux enzymes de dégradation matricielle, en l’occurrence les métalloprotéinases. Cette approche est cependant apparue plus complexe car, ces enzymes ayant beaucoup d’autres substrats, elles ont aussi des effets multiples. Une tentative récente s’est ainsi soldée par des résultats contraires selon le moment où s’exerce l’inhibition des métalloprotéinases. Dans ce modèle murin caractérisé par une mutation de la chaîne alpha 3 du collagène de type IV, il a été constaté, après 4 semaines, un retard d’évolution vers la fibrose et l’insuffisance rénale, mais au contraire une exagération des lésions de fibrose lors d’une inhibition des métalloprotéases plus tardive. Une autre voie potentielle pourrait être représentée par les TIMPs (Tissue inhibitor of metalloproteinase), inhibiteurs endogènes des métalloprotéinases. Par exemple, les souris KO pour le TIMP3 développent une fibrose interstitielle chronique avec l’âge et des lésions exagérées après induction d’une néphropathie expérimentale.
La transglutaminase tissulaire (TG2) est une autre enzyme qui contribue au développement de la fibrose rénale, en créant des lésions covalentes entre les différentes protéines de la matrice extracellulaire (cross linking). En modifiant la stabilité des protéines, elle rend la matrice extracellulaire plus résistante à la dégradation. De plus, cette enzyme participe à l’activation du TGF bêta. Il a pu être montré que des souris KO pour le gène TG2 avaient une fibrose rénale interstitielle moins importante que les animaux sauvages après obstruction urétérale.
Au cours du diabète, il existe aussi une modification qualitative des protéines de la matrice extracellulaire par une activité accrue de « crosslinking » liée à une accumulation d’AGE (advanced glycation end products). Ces composés conduisent à la glycation des protéines et à une augmentation du stress oxydant. Deux stratégies thérapeutiques ont été développées: empêcher la formation des AGE, bloquer leurs récepteurs. Un essai clinique de phase II teste actuellement cette deuxième stratégie.
Toutes ces données ne représentent cependant que des morceaux choisis d’une recherche qui n’en est aujourd’hui qu’à ses premiers chapitres. Il existe en effet de multiples pistes actuellement à l’étude comme celles de l’EGF (epithelium growth factor), du système kinine-bradykinine ou du PDGF. Si la fibrose résulte d’un processus cicatriciel inadéquat, un autre axe de recherche pour lutter contre son développement consistera à favoriser la réparation rénale.
D’après un entretien avec le Dr Jean-Jacques Boffa, hôpital Tenon, INSERM UMR S 702, Paris.
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