EN CAS d’insuffisance rénale, l'anémie constitue un facteur de risque cardio-vasculaire supplémentaire. Son traitement permet d’améliorer la qualité de vie, les fonctions cognitives, physiques et cardio-vasculaire des patients. Depuis l'introduction de l'érythropoïétine recombinante humaine et d’agents stimulant l'érythropoïèse (ASE), des niveaux différents de correction de l'anémie ont successivement été proposés. Les recommandations nationales et internationales actuellement en vigueur préconisent une valeur cible minimale d’hémoglobine de 11 g/dl. La prise en charge de l’anémie de l’hémodialysé s’est ainsi améliorée, notamment en France (1).
De 70 à 90 % des dialysés sont concernés.
Néanmoins, chez un patient donné, l’hémoglobinémie n’est pas stable. Cette variabilité, mise en évidence par E. Lacson et coll. en 2003 (2), semble être un paramètre important du pronostic (3). Dans le travail princeps de Lacson, qui a porté sur plus de 65 000 patients, seulement 5 % des hémodialysés avaient une hémoglobinémie stable. Ce concept a été confirmé par plusieurs auteurs. Il a été observé que, sur une période d’un an, 90 % des patients avaient au moins un cycle de variation de l’hémoglobine supérieure à 1,5 g/dl pendant une durée supérieure ou égale à quatre semaines (4). Le nombre d’excursions était de 3,1 ± 1 par an et par malade et leur durée de 10,3 semaines en moyenne, avec une amplitude atteignant 2,51 ± 0,89 g/dl. Ces valeurs peuvent être rapprochées de celles de l’étude française DiaNE (1), qui a montré que l’hémoglobine de 61 % des patients se situait entre 11 et 13 g/dl, mais que 6,4 % d’entre eux seulement restaient en permanence dans cet intervalle pendant un an. Dans ce travail, les excursions de l’hémoglobine, au nombre de 1,7 par an en moyenne, ont concerné 73 % des patients. Une autre étude, qui a porté sur 152 846 patients, a confirmé la fréquence des fluctuations de l’hémoglobine. Celles-ci concernaient 90 % des sujets et étaient de grande amplitude chez 39,5 %(5).
Ainsi, l’hémoglobinémie est un paramètre très variable « qui ne doit pas seulement être analysé sous forme de moyenne de population, mais sous forme d’évolution des valeurs individuelles » (3).
Il faut améliorer la gestion de l’anémie.
Les conséquences de la variabilité de l’hémoglobine ont été bien mises en évidence. Le risque de mortalité est augmenté d’environ 80 % si le temps passé au-dessus de 11 g/dl est inférieur à 20 % sur 6 mois. De même, pour D. Gilbertson, le risque d’hospitalisation et de décès est significativement plus élevé chez les dialysés dont l’hémoglobine est en permanence inférieure à 11 g/dl (6). Enfin, S. M. Brunelli et coll. ont montré que pour chaque augmentation de la variabilité de l’hémoglobine de 0,5 g/dl, la mortalité augmente de 15 % (7). Ce phénomène a donc très vraisemblablement un impact sur la morbimortalité des dialysés, les fluctuations de l’hémoglobinémie, essentiellement en dessous de la cible, augmentant le risque d’hospitalisation et la mortalité des patients à 12 mois.
Les facteurs de variabilité sont proches de ceux qui expliquent la résistance au traitement par l’érythropoïétine. Si l’hospitalisation, l’infection et l’inflammation sont des facteurs de variabilité de l’hémoglobine font partie des facteurs qui ont été mis en évidence, les pratiques médicales expliquent probablement l’essentiel de ces variations. Ainsi, dans le travail de S. Fishbane, la variabilité de l’hémoglobine s’expliquait par des variations des doses d’érythropoïétine, au nombre de 6 par an, par la mise en uvre d’un traitement martial par voie intraveineuse ou par l’augmentation des doses(4).
Ce nouveau concept devra être intégré à celui de valeur cible, peut-être sous forme d’un compromis à trouver entre cibles étroites et variabilité. La gestion de l’anémie doit donc être améliorée, de manière moins brutale, par exemple grâce à de nouvelles molécules à longue durée de vie (8).
D’après un entretien avec le Pr Gilbert Deray, service de néphrologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
(1) Kessler M, et coll., Néphrol Ther 2009;5:114-121.
(2) Lacson E, et coll., Am J Kidney Dis 2003;41:111-24.
(3) Deray, G. Nephrol Ther 2008;4:549-52.
(4) Fishbane S, et coll., Kidney Int 2005;68:1337-43.
(5) Ebben J, et coll., Clin J Am Soc Nephrol 2006;1:1205-10.
(6) Gilbertson D, et coll., Clin J Am Soc Nephrol 2008;3:133-8.
(7) Brunelli SM, et coll., Clin J Am Soc Nephrol 2008;3:1733-40.
(8) Casadevall N, et coll., Hématologie 2006;12:44-8.
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