PAR LE Pr GÉRARD CHALÈS*
L’OBJECTIF DES traitements hypouricémiants est de maintenir l’uricémie en dessous du point de saturation pour la formation des cristaux (< 360 µmol/l ou 60 mg/l). En 2006, l’EULAR a proposé des recommandations pour le diagnostic et la prise en charge de la goutte, mais une enquête réalisée dans une population bénéficiant de soins de santé primaires a montré que son traitement est souvent suboptimal et assez peu concordant avec ces recommandations. Potentiellement curable, la goutte reste paradoxalement sous-diagnostiquée et sous-traitée, pour plusieurs raisons, comme, entre autres :
– l’absence de compréhension et d’acceptabilité des recommandations par la profession médicale ;
– le nombre restreint d’hypopuricémiants (allopurinol, probénécide et benzbromarone) ;
– le mauvais suivi des goutteux, car on oublie souvent que la goutte est une maladie chronique.
Que faire pour améliorer la prise en charge.
• Il faut faire un effort de mise en uvre des recommandations de l’EULAR, disponibles sur le site de la Société française de rhumatologie (www.rhumatologie.asso.fr) et sur le site www.crisedegoutte.fr.
• Il faut mieux utiliser les molécules existantes, que ce soit la colchicine pour le traitement de l’accès aigu ou l’allopurinol pour le traitement de fond.
Récemment, dans un essai clinique randomisé et contrôlé, portant sur le traitement de la crise de goutte à sa phase précoce (dans les 12 premières heures), une faible dose de colchicine (1,2 mg puis 0,6 mg une heure plus tard) a été mieux tolérée et aussi efficace qu’une forte dose (4,8 mg sur 7 heures), et aussi bien tolérée et plus efficace que le placebo.
Le fait que l’inflammasome soit activé par les cristaux d’urate de sodium et que cette activation conduise à la production d’IL-1ß implique que la goutte aiguë est une maladie médiée par cette cytokine, comme certaines maladies auto-inflammatoires. Ce concept a été renforcé par les données d’études ouvertes sur les effets positifs de l’anakinra (Kineret) chez des patients souffrant de goutte aiguë, intolérants ou résistants aux traitements anti-inflammatoires conventionnels.
Les recommandations de la FDA préconisent une augmentation progressive des doses d’allopurinol (Zyloric) si la fonction rénale est normale, en commençant par 100 mg/j et en augmentant de 100 mg toutes les semaines ou toutes les 2 à 4 semaines, sans dépasser 800 mg/j, jusqu’à obtenir l’uricémie cible de 60 mg/l. La diminution des doses d’allopurinol est recommandée chez les patients ayant une insuffisance rénale, selon les valeurs de la clairance à la créatinine (ClCr), définie de préférence par la formule MDRD. En cas d’intolérance ou d’inefficacité de l’allopurinol et en l’absence de lithiase rénale et d’hyperuraturie (› 700 mg/24 heures), on peut utiliser le probénécide (Benemid) (2 g/j si la ClCr reste supérieure à 50 ml/min) ou la benzbromarone (Désuric) (200 mg/j) disponible en ATU, avec une surveillance hépatique rapprochée.
L’arrivée d’un nouvel inhibiteur de la xanthine-oxydase, le fébuxostat (Adénuric), disponible depuis le 5 mars 2010 (comprimés à 80 mg et 120 mg), fournit une alternative potentielle à l’allopurinol.
Les études pivots et d’extension ont montré la supériorité du fébuxostat 80 et 120 mg sur la dose conventionnelle d’allopurinol (300 mg) pour atteindre l’uricémie cible (< 60 mg/l), y compris pour des uricémies supérieures à 100 mg/l, et la persistance de son efficacité, sans ajustement de dose, en cas d’insuffisance rénale légère (ClCr 60-90 ml/min) et modérée (ClCr 30-60 ml/mn) et d’insuffisance hépatique légère à modérée (Child-Pugh A ou B). L’étude CONFIRMS (Confirmation of Febuxostat in Reducing and Maintening Serum Urate Study), récemment publiée, disponible sur le site de la FDA (www.fda.gov) et sur le site de la HAS est la plus grande étude de phase III, randomisée, contrôlée, en double aveugle, ayant comparé l’efficacité du febuxostat 40 mg (n = 757) et 80 mg (n = 756) à celle de l’allopurinol 300 mg (n = 756) (ou 200 mg chez les insuffisants rénaux). Les taux de comorbidités étaient comparables et 65,4 % des patients inclus avaient une altération de la fonction rénale (ClCr 30-89 ml/min). Le critère principal était la proportion de patients avec une uricémie inférieure à 60 mg/l à la visite finale (répondeur). Cette étude a montré la non-infériorité du fébuxostat 40 mg (45 % de répondeurs) par rapport à l’allopurinol (42 %) et la supériorité du fébuxostat 80 mg (67 %) par rapport à l’allopurinol (42 %). Chez les patients ayant une insuffisance rénale légère à modérée, davantage de patients traités par fébuxostat 40 mg (50 %) et 80 mg (72 %) ont rempli le critère principal, que de patients traités par l’allopurinol (42 %).
Les événements indésirables les plus fréquemment rapportés ont été des anomalies du bilan hépatique (3,5 %), des diarrhées (2,7 %), des céphalées (1,8 %), des nausées (1,7 %) et des éruptions (1,5 %). L’agence européenne, en 2008, a introduit dans le RCP une mise en garde spéciale visant à ne pas utiliser Adénuric en cas de pathologie ischémique ou d’insuffisance cardiaque congestive, bien que ce signal cardio-vasculaire n’ait pas été retrouvé dans l’étude CONFIRMS. Il faut disposer de la NFS-plaquettes, des transaminases, de la TSH, de l’uricémie et de la clairance à la créatinine (MDRD) avant et pendant le traitement.
Le fébuxostat est particulièrement utile comme traitement hypouricémiant continu, en associant une prophylaxie par la colchicine (les 6 premiers mois) :
– chez les goutteux intolérants à l’allopurinol ou qui sont en situation d’échec ou de contre-indication aux uricosuriques ;
– chez les patients qui n’atteignent pas l’uricémie cible (< 60 mg/l) avec l’allopurinol à la dose maximale compte tenu de la clairance à la créatinine.
• Il faut corriger les comorbidités associées et la prise en charge des facteurs de risque cardio-vasculaire tels que l’hyperlipidémie, l’hypertension, l’hyperglycémie, l’obésité et le tabagisme, qui représentent une part importante de la prise en charge de la goutte.
• Il faut améliorer l’adhésion à un traitement hypouricémiant, actuellement médiocre puisque 44 % des patients atteignaient un Medication Possession Ratio (MPR = rapport médicaments achetés/médicaments prescrits) supérieur à 0,8 dans une étude récente. Il faut essayer, au cours de plusieurs consultations ou séances d’éducation thérapeutique, de pallier le déficit de connaissances. Il faut conseiller aux patients de perdre du poids et de réduire la quantité :
– de boissons alcooliques, surtout d’éviter la bière (y compris la bière sans alcool) riche en purines et les alcools forts (le vin ne constitue pas un facteur de risque majeur au-dessous d’une consommation de 3 unités/j) ;
– d’aliments riches en purines (les fruits de mer et la viande) ;
– de boissons sucrées à base de fructose (sodas et jus de fruits) et leur recommander la prise de produits laitiers et de vitamine C, qui sont potentiellement protecteurs.
Le renforcement indispensable de l’éducation thérapeutique du patient mais aussi des professionnels de santé et l’introduction de nouvelles molécules hypo-uricémiantes sont deux éléments clés pour améliorer le résultat clinique et le résultat du traitement médicamenteux de la goutte.
*Service de rhumatologie, hôpital sud, CHU de Rennes
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