« Aucune femme à risque de cancer du sein n’accepterait 12 biopsies au hasard dans le sein, à répéter un an plus tard en cas de négativité, selon le Pr Éric De Kerviler, radiologue à l’hôpital Saint-Louis (Paris). Les hommes ont accepté pour leur prostate cette pratique peu enthousiasmante et qui expose à des complications. » Mais, en cas de suspicion de cancer de la prostate au toucher rectal (TR) ou devant une anomalie du taux ou de la cinétique des antigènes prostatiques spécifiques (PSA), que faire ? De façon intuitive, la conduite à tenir s’est récemment rapprochée de celle suivie dans le cancer du sein : pratiquer une imagerie ; si elle est normale, surveiller ; sinon, cibler les biopsies sur les anomalies. Cependant, aucune étude ne confirmait l’intérêt de biopsies ciblées par IRM par rapport aux biopsies transrectales standard sous échographie. C’est chose faite.
L'intérêt de l'IRM confirmé
Parue en 2018 dans le New England Journal of Medicine (NEJM), une étude multicentrique de non-infériorité a inclus 500 hommes chez lesquels une anomalie du TR ou des PSA faisait suspecter un cancer de la prostate (1). Aucun n’avait auparavant subi de biopsie. La moitié des patients (248) a été randomisée pour des biopsies standard (de 10 à 12 carottes guidées par échographie transrectale) ; l’autre moitié (252) pour une IRM, avec en cas d’anomalie (PI-RADS V2 ≥ 3) des biopsies ciblées par IRM avec guidage échographique (au maximum 3 cibles et 4 prélèvements dans chacune, soit 12 carottes). L’étude laissait le choix entre deux méthodes de biopsie ciblée par IRM, la fusion cognitive sous échographie ou la fusion par logiciels IRM et échographie.
Dans le groupe IRM, 71 hommes ont évité la biopsie, car leur IRM ne présentait pas d’anomalie détectable (score PI-RADS V2 de 1 ou 2), et 181 ont eu une biopsie. Malgré un nombre de patients biopsiés inférieur, plus de cancers cliniquement significatifs ont été détectés dans le groupe IRM que dans le groupe des biopsies standard : respectivement 95, soit 38 %, et 64, soit 26 % (différence ajustée 12 points de %, IC 95 [4-20 %], p = 0,005). De plus, il y a eu moins de cancers cliniquement non significatifs dans le groupe biopsie ciblée par IRM que dans le groupe biopsie standard : 23 patients (9 %) versus 55 (22 %) [différence ajustée -13 points de %, IC 95 [- 19 à - 7] ; p < 0,001].
La version 2 du score PI-RADS (prostate imaging reporting and data system) a été utilisée pour définir la probabilité qu’une anomalie d’IRM corresponde à un cancer (scores 1 à 2, très faible risque; scores de 3 à 5, risque de plus en plus fort). Un score PI-RADS de 5 était dans 83 % des cas associé à un cancer significatif (Gleason ≥ 7 à la biopsie). À l’inverse, dans des cas équivoques (score PI-RAD = 3), il n’y avait que 12 % de cancers (voir le tableau).
Un nombre restreint d’appareils
« Comme pour le cancer du sein, l’IRM permet de détecter des anomalies, de stratifier leur risque d’être un cancer, et de diriger des biopsies ciblées sur les zones suspectes. Les freins actuels sont la formation des radiologues aux IRM de prostate (courbe d’apprentissage importante) et le nombre restreint d’IRM : les 800 IRM de France réalisent chacune en moyenne 5 000 examens par an », constate le Pr De Kerviler.
L’étude du Dr Veeru Kasivisvanathan montre que seuls 38 % des patients avec une anomalie à l'IRM ont une biopsie positive. La prévalence du cancer de la prostate étant de 71 000 nouveaux cas par an en France, le Pr De Kerviler évalue les suspicions de cancer de la prostate à 190 000 par an. « Certes, l’étude montre que l’IRM a sa place pour détecter les cibles à biopsier, mais cela semble irréalisable vu le faible nombre de machines installées et les délais actuels de rendez-vous d’IRM », regrette-t-il.
Selon lui, « l’IRM ne saurait être un examen de dépistage. En revanche, chez des hommes à risque de cancer de la prostate (PSA élevés ou à cinétique inquiétante ou TR suspect), cibler les biopsies par IRM permet d’en détecter plus. L’IRM rate peu de gros cancers ou de petits cancers agressifs (Gleason de 7 à 10). Il permet d’éviter des biopsies inutiles, même si elle détecte moins bien les cancers Gleason 6 — mais ceux-ci relèvent souvent de la surveillance active ».
D’après un entretien avec le Pr Éric de Kerviler, radiologue à l’hôpital Saint-Louis (Paris)
(1) Kasivisvanathan V et al., NEJM 2018
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