Par le Dr KARINE DAHAN et le Pr PIERRE RONCO*
LA GEM est caractérisée par la présence de dépôts immunologiques sur le versant externe de la membrane basale glomérulaire (MBG) constitués d’Ig, de complément et d’antigènes qui sont restés inconnus très longtemps. En 2002, avec Hanna Debiec, nous avons identifié le premier antigène cible des anticorps néphritogènes, l’endopeptidase neutre, chez des nourrissons atteints de GEM anténanale (1). Les mères se sont immunisées pendant la grossesse car elles sont déficientes en endopeptidase neutre dont le gène est muté (2) et les anticorps maternels se fixent sur les podocytes ftaux après avoir traversé le placenta. Des anticorps circulants anti-NEP et la présence de NEP dans les dépôts sont également détectés chez l’adulte (résultats non publiés).
En 2009, un deuxième antigène podocytaire cible, le récepteur de type M. de la phospholipase A2 (PLA2R) a été identifié par une équipe américaine (3). Des anticorps circulants anti-PLA2R ont été détectés chez environ 70 % des patients ayant une GEM dite idiopathique, alors qu’ils sont absents dans les cas de GEM secondaires qui représentent environ 20 % de la totalité des GEM. En outre, l’antigène PLA2R a été identifié dans les dépôts glomérulaires. Plus récemment encore, d’autres antigènes (aldose réductase, superoxyde dismutase-2) ont été impliqués, mais à la différence des précédents, ils ne sont détectés dans le glomérule que chez les patients atteints de GEM où ils pourraient être induits par les médiateurs produits en réponse à l’activation du complément (4).
Ces résultats de la recherche immunologique sont d’un grand intérêt potentiel car ils fournissent des outils pour apprécier l’évolutivité de la maladie.
La néphroprotection en première intention.
La décision d’initier un traitement spécifique doit tenir compte des connaissances acquises sur l’histoire naturelle de la maladie. Une rémission spontanée survient entre 5 et 30 % des cas selon les études et l’incidence de l’insuffisance rénale terminale compliquant une GEM idiopathique se situe entre 30 et 40 % à 10 ans (5,6). En conséquence, l’intérêt du traitement spécifique ne devra être envisagé que chez des patients présentant des facteurs de risque de progression vers l’insuffisance rénale.
La prise en charge initiale, dite « néphroprotectrice », associe la prescription d’au moins un bloqueur du système rénine angiotensine (IEC et/ou ARA2), d’un diurétique, d’une statine, d’un AVK en cas d’hypoalbuminémie profonde (<20 g/l), d’un régime limité en sel (6 g par jour) et en protéines, et d’une prévention des risques cardio-vasculaires avec un sevrage du tabac et une réduction pondérale si nécessaire. Les objectifs sont la réduction du débit de protéinurie et le maintien des chiffres tensionnels inférieurs à 130/80 mmHG. Cette prise en charge néphroprotectrice exclusive permet d’obtenir des taux de rémissions allant jusqu’à de 60 % à 5 ans(7).
Un algorithme thérapeutique.
Cependant, la prescription d’un traitement spécifique doit être envisagée chez les patients présentant des facteurs de risques de progression vers l’insuffisance rénale terminale, tels qu’une dégradation de la fonction rénale et/ou un syndrome néphrotique persistant plus de 6 mois, malgré un traitement néphroprotecteur bien conduit (8,9). Malheureusement, à l’heure actuelle, rares sont les études randomisées contrôlées ayant évalué le traitement optimal de la GEM idiopathique. Plusieurs études ont démontré l’inefficacité d’un traitement par corticothérapie exclusive (10). L’efficacité des inhibiteurs de la synthèse ADN comme l’azathioprine et le mycophenolate mofetil n’est également pas convaincante (11,12). Par contre, des études prospectives randomisées ont montré que l’association d’immunosuppresseurs de type alkylant et de corticoïdes apporte une amélioration significative du pronostic rénal (13,14). Une alternative est la prescription d’anti-calcineurines (ciclosporine ou tacrolimus) qui ont montré une efficacité significative sur le débit de protéinurie, mais les récidives de syndrome néphrotique sont fréquentes à l’arrêt du traitement et leur néphrotoxicité n’est pas négligeable (15,16). Enfin, le rituximab a récemment été évalué dans la GEM par deux équipes distinctes qui rapportent des taux de rémissions de plus de 60 % à un an (17,18,19). Ces résultats restent limités à deux petites cohortes de patients (n = 20 et n = 15), cependant, aux regards des avancées récentes sur la compréhension de la physiopathologie de la maladie, le rituximab pourrait représenter une première étape pour une thérapeutique ciblée de la GEM et le dosage des anticorps anti-PLA2R pourrait permettre d’évaluer l’efficacité de ce traitement. Ainsi, au dernier congrès de la Société Américaine de Néphrologie à San Diego, David Salant (3) proposait un nouvel algorithme thérapeutique : 1) traitement néphroprotecteur classique, 2) en cas d’échec, prescription d’un traitement par Rituximab, 3) en deuxième intention, en cas d’absence de réponse au Rituximab, traitement par alkylant et corticoïdes.
En conclusion, même si, il n’existe pas, actuellement d’attitude consensuelle concernant le traitement spécifique de la GEM, l’association d’alkylants et corticoïdes est bien souvent considéré comme un traitement de référence, mais reste discutable en raison de sa toxicité potentielle (neutropénies, infections, syndromes cushingoides, néoplasies) et de la publication de plusieurs méta-analyses infirmant le bénéfice significatif en termes de fonction rénale à moyen et long terme (20). Les alternatives actuelles sont la prescription d’un inhibiteur de la calcineurine avec son potentiel de toxicité rénale et les rechutes fréquentes à l’arrêt du traitement ou la prescription de rituximab. Actuellement, la réalisation d’études randomisées contrôlées comparant ces différentes stratégies reste éminemment nécessaire.
*Service de Néphrologie et Dialyses, Hôpital Tenon, Paris, Université Paris 06 UPMC
Références :
1. Debiec H, N Engl J Med. 2002 Jun 27;346(26):2053-60.
2. Debiec H, Lancet. 2004 Oct 2-8;364(9441):1252-9.
3. Beck LH Jr, N Engl J Med. 2009 Jul 2;361(1):11-21.
4. Prunotto M, J Am Soc Nephrol. 2010 Mar;21(3):507-19.
5. Cattran DJ Am Soc Nephrol. 2005 May; 16(5):1188-94.
6. Polanco N J Am Soc Nephrol. 2010 Apr;21(4):697-704.
7. Schieppati A. N Engl J Med 1993 July 8;329:85-89.
8. Cattran DC, Kidney Int. 1997 Mar;51(3):901-7.
9. Glassock RJ. Am J Kidney Dis. 2004 Sep;44(3):562-6. No abstract available.
10.Cattran DC, N Engl J Med. 1989 Jan 26;320(4):210-5.
11. Miller G, Am J Kidney Dis. 2000 Aug;36(2):250-6.
12. Choi MJ, Kidney Int. 2002 Mar;61(3):1098-114.
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15. Cattran DC, Kidney Int. 1995 Apr;47(4):1130-5.
16. Praga M. Kidney Int. 2007 May;71(9):924-30.
17. Remuzzi G, Lancet. 2002 Sep 21;360(9337):923-4. 13. Ruggenenti P J Am Soc Nephrol. 2003 Jul;14(7):1851-7.
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20. Schieppati A, Cochrane Database Syst Rev. 2004 Oct 8;(4):CD004293. Review.
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