EN DÉPIT de l’efficacité des traitements antihypertenseurs pour réduire la morbimortalité cardio-vasculaire, le risque reste plus élevé chez les hypertendus traités que dans la population normotendue (1). Ce surcroît de risque, encore appelé risque résiduel, est en partie lié à un contrôle insuffisant de la pression artérielle nocturne ou de la remontée tensionnelle du petit matin. Des données récentes, acquises à partir de la mesure ambulatoire de la pression artérielle, ont montré que l’absence de baisse physiologique de la pression artérielle nocturne augmente la morbidité cardio-vasculaire. D’une façon générale, la pression artérielle nocturne moyenne est un meilleur paramètre prédictif des événements cardio-vasculaires que la pression artérielle diurne, cette constatation ayant également été faite chez les patients atteints de la maladie rénale chronique (2-3).
Tenir compte les rythmes biologiques.
Les antihypertenseurs sont habituellement prescrits le matin sur le principe classique que la pression artérielle diurne est en moyenne plus élevée que la pression nocturne. Les associations fixes d’antihypertenseurs utilisés en cas de non-contrôle tensionnel par une monothérapie sont également usuellement prescrites le matin. C’est pourquoi pour beaucoup de cliniciens, l’objectif principal de la stratégie thérapeutique antihypertensive consiste à obtenir une normalisation tensionnelle clinique diurne, en postulant qu’elle sera effective sur l’ensemble du nycthémère.
Le développement de la mesure ambulatoire de la pression artérielle, qu’il s’agisse de l’automesure tensionnelle ou de la MAPA, permet dorénavant de prendre davantage en considération les rythmes biologiques régulant la pression artérielle, tenant compte notamment de la baisse tensionnelle nocturne et du pic tensionnel matinal. Cette hypothèse avait déjà été validée pour certaines classes thérapeutiques comme les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (4).
C’est pourquoi Ramon C. Hermida et coll. ont entrepris une étude prospective chez des patients hypertendus ayant une néphropathie chronique et traités par au moins deux antihypertenseurs (5). L’objectif de l’étude était de déterminer si la prise d’au moins un des médicaments antihypertenseurs le soir au coucher contrôle mieux la pression artérielle et abaisse davantage le risque cardio-vasculaire qu’une prise unique le matin. La méthodologie PROBE a été choisie, la prise vespérale n’ayant pas été réalisée à l’insu des investigateurs et des patients, mais l’analyse des mesures tensionnelles a été objective car réalisées sur des MAPA de 48 heures répétées.
Dans cette étude, 661 patients ayant une néphropathie chronique ont été aléatoirement assignés soit à prendre tous les médicaments antihypertenseurs le matin au réveil, soit à en prendre au moins un le soir au coucher. Une mesure ambulatoire de la pression artérielle sur 48 heures a été effectuée au moins une fois par an et 3 mois après chaque adaptation thérapeutique.
Une réduction spectaculaire du risque cardio-vasculaire.
Le critère de jugement de l’étude, composite, associait le décès, la survenue d’un infarctus du myocarde, d’un angor, d’une revascularisation, d’une insuffisance cardiaque, ou une occlusion artérielle au niveau des membres inférieurs ou de la rétine et la survenue d’un accident vasculaire cérébral. La durée de la période de suivi a été en moyenne de 5,4 ans.
À l’issue de l’étude, l’incidence des événements cardio-vasculaires était significativement plus basse chez les patients qui prenaient au moins un antihypertenseur le soir au coucher que chez ceux qui prenaient tous les antihypertenseurs le matin au réveil, avec un risque relatif très spectaculaire de 0,31 (intervalle de confiance à 95 %, 0,21-0,46, p ‹ 0,001).
Un bénéfice comparable de la prise vespérale a été également constaté sur le critère combiné associant les décès d’origine cardio-vasculaire, les infarctus du myocarde et les accidents vasculaires cérébraux, avec un risque relatif de 0,28 (intervalle de confiance à 95 %, 0,13-0,80, p ‹ 0,001).
À la fin de l’étude, la pression artérielle nocturne était de 117/65 mmHg dans le groupe assigné à un antihypertenseur au coucher, contre 123/66 mmHg chez les sujets prenant leur traitement le matin. La pression artérielle le jour a été réduite de façon comparable, avec une relation en forme de courbe en J entre la baisse tensionnelle le jour et les événements cardio-vasculaires. L’interprétation est que la prise unique matinale favorise les épisodes hypotensifs diurnes et donc les accidents ischémiques, effet qui disparaît lorsque les prises d’antihypertenseurs sont réparties sur la journée.
Cette étude, chez des patients ayant une insuffisance rénale, porte sur un sous-groupe de l’étude MAPEC, qui retrouve des résultats comparables chez les patients indemnes d’atteinte rénale (6).
La stratégie thérapeutique qui consiste à faire prendre au moins un antihypertenseur le soir au coucher représente une alternative très efficace, simple à mettre en œuvre et sans incidence économique. Il faudra néanmoins s’assurer de la qualité de l’observance lorsqu’un tel schéma thérapeutique est adopté.
D’après un entretien avec le Pr Thierry Hannedouche, service de néphrologie, nouvel hôpital civil, CHU de Strasbourg.
Liens d’intérêt : aucun pour cet article.
(1) Hansen TW, et coll. Predictive Role of the Nighttime Blood Pressure. Hypertension 2010;57(1):3-10.
(2) Agarwal R, et coll. Out-of-office blood pressure monitoring in chronic kidney disease. Blood Press Monit 2009;14:2-11.
(3) Tsioufis C, et coll. Prognostic Role of Nighttime Blood Pressure and Nondipping Profile on Renal Outcomes. Am J Nephrol 2011;33(3):277-88.
(4) Hermida RC, Ayala DE, Fernández JR, et coll. Circadian rhythms in blood pressure regulation and optimization of hypertension treatment with ACE inhibitor and ARB medications. Am J Hypertens 2011;24:383-91.
(5) Hermida RC, et coll. Bedtime dosing of antihypertensive medications reduces cardiovascular risk in CKD. J Am Soc Nephrol 2011;22(12):2313-21.
(6) Hermida RC, Ayala et coll. Influence of circadian time of hypertension treatment on cardiovascular risk: results of the MAPEC study. Chronobiol Int 2010;27:1629-51.
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