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Dossier

Reportage

Un centre de santé « participatif » pour faire tomber les barrières

Par Amandine Le Blanc - Publié le 25/10/2021
Un centre de santé « participatif » pour faire tomber les barrières

Une partie de l’équipe de Santé Commune, implantée au cœur du quartier de La Thibaude, à Vaulx-en- Velin. De gauche à droite : le Dr Judith Lyon-Caen, Benjamin Dubet, le Dr Chloé Perdrix, Mme Simon, Christine De Sousa, le Dr Camille Delest et Céline Coche
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Annoncée cet été par le gouvernement, une expérimentation débutera en janvier pour développer une soixantaine de maisons et centres de santé « participatifs » d’ici 2024. Ces structures visent à proposer une prise en charge sanitaire et sociale en premier recours dans des territoires souvent défavorisés et à rendre les usagers acteurs de leur santé. À Vaulx-en-Velin (Rhône), immersion au centre Santé Commune, qui a vu le jour il y a trois ans.

Madame Simon s’affaire à arroser les plantes vertes qui agrémentent la première salle d’accueil de Santé Commune. Elle ne travaille pas dans ce centre de santé, elle en est une « simple » patiente. Mais comme de nombreux autres usagers, elle s’est approprié l’endroit qui, au-delà du simple cabinet médical, a vocation à être un véritable lieu de vie et de rencontres pour ceux qui passent la porte.

Et si l’on en croit ceux présents ce mardi, le pari est plutôt gagné. Même si elle n’a rendez-vous qu’à 16 h 30, Mme Simon est déjà là à 15 heures. Elle qui confie « qu’elle ne sort jamais, ne va jamais en ville » s’est installée avec un livre, pendant que Mme Gomez et Mme Ghezzal discutent en buvant un thé en attendant leurs consultations respectives au son de la musique diffusée dans la salle d’attente.

Tout le monde est le bienvenu

Situé dans le quartier de La Thibaude, à Vaulx-en-Velin, dans l’agglomération lyonnaise, au pied d’une tour d’habitation, ce centre de santé associatif communautaire et participatif a ouvert il y a trois ans.

Si on ne le sait pas, difficile de repérer ce que ce rez-de-chaussée abrite. Tout juste un écriteau sur le mur de l’immeuble permet de savoir où l’on est. Dans la première salle, une fresque représentant des enfants sur une balançoire vous accueille, à côté de jeux pour les plus jeunes et d’un coin avec des thermos et gobelets et un panneau qui indique « Bienvenue, n’hésitez pas à vous servir en boissons chaudes ». Partout, depuis les salles d’attente jusqu’aux couloirs qui mènent aux différents cabinets, des affiches. Ici pour mettre en avant les différents projets de Santé Commune, là pour déconstruire les idées reçues sur certaines pathologies, faire de la prévention, ou encore de la pédagogie sur les vaccins anti-Covid-19, à l’aide des communications de l’association SantéBD qui conçoit des visuels en langage Falc (facile à lire et à comprendre).

Un des premiers principes du centre de santé est l’accueil inconditionnel : chacun peut se présenter et être reçu même s’il ne vient pas spécifiquement pour un problème de santé. Horia Lasfer et Céline Coche, qui s’occupent de l’accueil et du secrétariat, le soulignent : il n’est pas rare que des personnes viennent pour discuter ou prendre un café sans impératif médical. « Ça fait sens d’être au pied des tours, et un lieu comme celui-ci n’aurait pas le même impact dans un autre quartier », explique Céline Coche.

Implantation dans un quartier prioritaire

La structure est divisée en trois pôles : le pôle accueil, le pôle médical et le pôle social. Autour du coordonnateur administratif, on retrouve donc trois médecins généralistes, une infirmière Asalée, une sage-femme, une chargée de projet, une médiatrice santé et deux accueillantes. Le projet s’est construit autour de deux grands principes : le déploiement de la santé communautaire et l’exercice en autogestion.

« Dès le départ était ancrée très fort cette idée de promotion de la santé, de pouvoir proposer un accueil libre, des espaces collectifs… », explique Julie Leblanc, infirmière qui ne travaille pas à Santé Commune mais a fait partie du projet pendant sa phase de conception dès 2011. « La base de nos valeurs est de faciliter l’accès aux soins pour tous », ajoute le Dr Camille Delest, généraliste à Santé Commune. Cela passe évidemment par l’implantation dans un quartier prioritaire de ville mais aussi par des phases d’« aller vers » notamment en direction des structures et lieux de vie déjà fréquentés par les habitants.

« Nous travaillons avec le réseau local : les centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada), les foyers d’hébergement, le lieu Écoute Jeunes, etc. L’objectif est aussi de rendre les patients autonomes et voir comment les accompagner vers les structures extérieures », confie Christine De Sousa, infirmière du centre.

Et, pour cela, le rôle de la médiatrice santé, prérequis dans les centres de santé participatifs est primordial. À Santé Commune, c’est Yasmina Aouar qui occupe ce poste. Elle fait le pont entre les usagers et les soignants et sa mission est notamment de ramener dans le circuit des gens qui se sont éloignés du soin et de mettre en lumière des freins pas forcément perceptibles lors de la consultation.

« J’accompagne les personnes pour les demandes administratives, les ouvertures de droit, la prise de rendez-vous, mais je peux aussi être présente physiquement lors de rendez-vous à l’hôpital, par exemple, pour lever la barrière de la langue mais aussi celle du langage médical qui existe parfois. » Yasmina Aouar a aussi la particularité d’être une médiatrice santé pair-aidant, « du coup mon expérience me permet d’identifier certains freins, les raisons de rupture de soins, ou encore d’envoyer les usagers vers des endroits où je sais qu’ils seront bien reçus », précise-t-elle.

Des projets portés par les usagers

La dimension participative du centre répond à l’idée de rendre les patients acteurs de leur santé. « Il s’agit de faire participer les habitants et qu’ils montent des projets qui répondent réellement à leurs besoins », explique le Dr Delest. Par exemple, ce groupe de pairs où des femmes en situation d’obésité se retrouvent une fois par semaine, avec une association, et ont monté elles-mêmes leur programme. Des ateliers d’écriture sont aussi mis en place pour accompagner des personnes en situation d’exil.

Mme Simon et Mme Abdillah, elles, participent à la construction du futur espace bien-être. Mis en place avec l’association Bricologis, les participants font tout de A à Z. « On vient de monter les meubles, en ce moment on fait le carrelage pour la douche », détaille Fatima Abdillah. « L’idée, c’est d’avoir un coin tranquille et une douche, notamment pour que les personnes qui ne peuvent pas faire leur toilette régulièrement en aient la possibilité avant un rendez-vous médical », ajoute Mme Simon, qui se creuse la tête pour répartir les différentes couleurs de carrelage.

Donner du temps et écouter

Au-delà de l’aspect participatif, la philosophie de Santé Commune est une approche globale de la santé. Une dimension qui joue sur la prise en charge des patients et est bien ressentie par ces derniers. Pour les consultations médicales, le choix a été fait de prévoir des créneaux de trente minutes notamment. Des praticiens qui prennent le temps et vous écoutent, c’est la description qui revient le plus souvent dans la bouche des usagers. « Notre temps n’est pas compté », souligne Mme Ghezzal. « La première fois que je suis venue, je suis restée une heure », relate Mme Simon.

Plus que le temps accordé, c’est l’impression de ne pas être seulement un sujet médical qui ressort des témoignages. « Ça se passait bien avec mon ancien généraliste, il était gentil, mais je venais, je repartais avec une ordonnance et voilà, explique Fatima. Ici, je parle, je reprends confiance en moi depuis cinq mois. J’ai rendez-vous une fois par semaine et j’ai dû repartir une seule fois avec une ordonnance. » Émue quand elle se souvient de sa première prise en charge au centre, Mme Simon confie : « j’étais étonnée d’être crue ». « Et puis au départ, je ne voulais pas qu’on me touche. Ils ont pris le temps. Ils sont doux dans leurs gestes », continue-t-elle.

Et cette différence par rapport à d’autres lieux médicaux qu’ils ont pu fréquenter, il n’y a pas que les patients qui la ressentent, ceux qui y travaillent également. Horia Lasfer a notamment évolué dans le milieu hospitalier : « la dimension relationnelle n’est pas la même et ici, je me sens utile ». Pour les soignants impliqués dans le projet, il y a aussi une dimension militante.

« Ce sont souvent des soignants qui pouvaient souffrir, dans leur travail, de voir un décalage entre une vision de la santé et du prendre-soin et la réalité, souligne le Dr Delest. Un projet comme celui-ci nous permet d’intégrer cette dimension militante, pas seulement de constater des inégalités, par exemple, mais aussi de lutter contre. »

Un fonctionnement horizontal

Et le mode de fonctionnement du centre se ressent aussi sur la qualité de vie au travail des salariés. En effet, et ce n’est pas forcément le cas de tous les centres de santé participatifs, Santé Commune a fait le choix d’être en auto­gestion, avec un fonctionnement horizontal. Tout le monde a donc la même voix, le même poids au sein de la structure. « Chacun a son importance, chaque avis est pris en compte sans arrière-pensée. On ne subit pas et on a la possibilité de s’exprimer », explique Céline Coche.

À l’image des temps d’équipe qui ont lieu les mardis. Ce matin, lors de la réunion de vie d’équipe, il est notamment question des rencontres des centres de santé communautaires, de la commission Logement dans le cadre du conseil local de santé mentale, du prêt de la salle commune à une association pour les jeunes, d’une demande de mise en place d’un projet d’art-thérapie ou encore de propositions à formuler lors d’une réunion avec les professionnels libéraux pour la prise en charge des patients allophones. Pour chaque sujet, chacun donne son avis à tour de rôle, quelle que soit sa fonction dans la structure.

Garder taille humaine

C’est aussi pour garder cette qualité d’échange que Santé Commune ne veut pas s’agrandir outre mesure. Il est question de recruter un généraliste supplémentaire, un orthophoniste et un psychologue. Mais pour que tout le monde garde la possibilité de s’exprimer de façon égalitaire, le nombre de salariés ne doit pas devenir exponentiel. Il en va de même pour le nombre de patients accueillis, pour conserver une qualité de prise en charge.

Et, dans un secteur géographique où l’accès aux soins est compliqué, avec aujourd’hui 2 250 patients dans la file active et 1 100 en médecin traitant, Santé Commune ne peut plus prendre de nouveaux patients en médecin traitant.

« Même les demandes urgentes, nous avons de plus en plus de mal à les satisfaire », explique Horia Lasfer. Mais, avec l’expérimentation lancée par le gouvernement (voir encadré), Santé Commune espère « essaimer » un peu partout sa façon de faire pour que d’autres centres de santé participatifs s’ouvrent aux patients.