En 2015, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait préconisé un bilan de santé obligatoire pour les migrants primo-arrivants (personnes sur le territoire depuis moins de cinq ans) dans les quatre mois suivant leur arrivée. L’élaboration précise de son contenu avait alors été laissée aux soins d’un futur groupe d’experts dont la saisine n’a jamais été effective. Dans ce contexte, la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), la Société française de pédiatrie et la Société française de lutte contre le sida (SFLS) se sont autosaisies pour élaborer des recommandations spécifiques, publiées cet été.
Contrairement au HCSP, les auteurs plaident pour que ce bilan soit non obligatoire, soumis au consentement du patient. Des informations sur le système de santé et de protection sociale français, les dispositifs de prévention et le droit français doivent être délivrées. Pour les patients non francophones, la présence d’un traducteur professionnel ou, à défaut, l’usage d’une application sont encouragées plutôt que le recours aux proches, à des fins de confidentialité.
Sur le fond, les auteurs se sont penchés sur l’ensemble des pathologies et troubles relevant d’un dépistage lors de l’accueil sanitaire, définissant, à la lumière des données de la littérature, un canevas des explorations cliniques et paracliniques à réaliser (voir encadré ci-dessous).
La santé mentale, enjeu majeur
L’accent est mis notamment sur la santé mentale. « Les données épidémiologiques montrent qu’il s’agit d’un enjeu majeur, avec une prévalence importante des troubles psychiatriques chez les populations migrantes », explique le Pr Nicolas Vignier, infectiologue et coordonnateur du groupe de travail. Les auteurs préconisent l’usage de deux échelles diagnostiques : le PHQ-4, composé de quatre questions visant à déceler des troubles de l’humeur et l’anxiété, et le PC-PTSD-5, contenant six questions pour identifier des symptômes conséquents à l’exposition à un traumatisme (témoin d’un décès, abus sexuel, etc.). Si des troubles sont détectés, les patients seront dirigés vers des soins spécialisés ou, à défaut, vers des soins courants.
Des parasitoses très fréquentes
Du côté des maladies transmissibles, les parasitoses sont très fréquentes chez les populations migrantes. Bien qu’elles soient généralement asymptomatiques, un traitement précoce permet d’en prévenir les complications. « La schistosomose, par exemple, est asymptomatique mais peut évoluer pour devenir un facteur de risque important de cancer de la vessie, alors qu’elle est très facilement soignable à l’aide d’un traitement monodose », illustre le Pr Vignier.
Les recommandations préconisent notamment de dépister la schistosomose chez les personnes originaires d’Afrique subsaharienne et d’Égypte par sérologie. Si le test est positif et confirmé par western blot, un traitement par praziquantel est recommandé.
La strongyloïdose, à traiter par ivermectine, devrait être recherchée par sérologie chez les personnes originaires de zones d’endémie. Une attention particulière doit être portée à celles originaires d’Afrique centrale, où la filariose est par ailleurs présente. Lorsqu’elle est active et qu’une prescription d’ivermectine est réalisée, cette dernière peut s’avérer dangereuse.
Quelle place pour les Trod ?
Alors que les recommandations préconisent le dépistage systématique du VIH, des hépatites B et C et de la syphilis, elles ouvrent largement la porte aux tests de diagnostic rapide. La littérature montre désormais une bonne sensibilité et spécificité de ces tests, « ce qui en fait des alliés utiles pour éviter les occasions manquées de dépistage, en particulier dans les cas où l’accès à une sérologie serait compliqué », précise le Pr Vignier.
Pour faciliter la prise en soins, les recommandations proposent également un tableau des conduites à tenir en cas de résultats positifs.
Elles ne détaillent pas, en revanche, les modalités de financement et d’implémentation de ce bilan, ni le rôle de chacun dans sa mise en œuvre. Pour le Pr Vignier, « il reste encore à traiter les enjeux d’implémentation, en particulier dans les lieux de prise en charge gratuite, dont le budget est pour le moment insuffisant. Pour répondre à ces questions, nous souhaitons mettre en place un groupe de travail ».
Des examens à adapter selon le pays d’origine
Selon les nouvelles recommandations, le bilan de santé à réaliser chez toute personne migrante primo-arrivante doit inclure :
- un interrogatoire précisant, entre autres, les antécédents du patient, les déterminants sociaux, le statut vaccinal, les antécédents de violence et la vulnérabilité sexuelle ainsi que les signes de grossesse et les besoins de contraception chez la femme. Cet interrogatoire sera aussi l’occasion de détecter des signes de troubles psychiatriques et de mutilations génitales pour les femmes originaires des zones à risque ;
- un examen clinique complet incluant un examen de dépistage dentaire, une recherche de troubles de la vision et de l’audition ;
- un bilan biologique minimal, avec hémogramme, créatinine, transaminases et glycémie à jeun (ou dextro) pour tous les sujets de 45 ans et plus. Rechercher également chez tous les patients une protéinurie, une leucocyturie, une glycosurie et/ou une hématurie via la réalisation d’une bandelette urinaire. Un bilan lipidique est préconisé pour les hommes de 40 ans et plus, les femmes de 50 ans et plus, les personnes présentant un ou des facteurs de risque cardiovasculaire et/ou avant une prescription de contraception hormonale. Un dépistage des hémoglobinopathies par électrophorèse est souhaitable pour les personnes avec désir de mater/paternité originaires d’Afrique subsaharienne et du Nord, du Moyen-Orient, du sous-continent indien, d’Asie du Sud-Est, d’Amérique latine ;
- le dépistage de certaines maladies infectieuses :
> radiographie pulmonaire chez les adultes originaires des pays de forte endémie, et IDR ou test IGRA chez les mineurs originaires de ces même zones,
> sérologie VIH, VHB, VHC et syphilis (ou Trod selon contexte),
> PCR combinée Chlamydiae trachomatis/gonocoque chez les jeunes sexuellement actifs,
> recherche de parasitoses à adapter selon la région d’origine des patients ;
- certaines sérologies pré- ou post-vaccinales :
> en pré-vaccinal : sérologies VHB et varicelle pour les 12-40 ans sans antécédents,
> en post-vaccinal : anticorps antitétanique 4 à 8 semaines après un rappel dTPca et anticorps anti-HBs 4 à 8 semaines après un rappel hépatite B,
- enfin, les nouveaux arrivants doivent pouvoir bénéficier des programmes nationaux de dépistage des cancers.
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