Journée internationale de la visibilité de la sclérose en plaques/Tribune

Sclérosée d'émotions

Publié le 17/06/2021

Crédit photo : DR

J'ai une ombre qui me suit depuis maintenant huit ans. Les médecins l'ont nommée sclérose en plaques à mes 14 ans, devant des parents en pleurs et une gamine qui a pris ce diagnostic comme celui d’une bronchite ou d’une sinusite. Mais les parents, eux, savaient. Elle, elle n’imaginait pas l’envergure de cette maladie.

C’est à force de cohabitation dans le même corps, qu’elle a vu combien cette ombre pouvait silencieusement venir l’handicaper et combien, personne, à part elle, ne savait ce qu’elle vivait. On désigne souvent les symptômes de cette maladie comme invisibles, car ils ne sont apparents que sur les feuilles noires d’IRM ou dans le vécu de la malade. Qui voit dans la rue que je ne sens plus la moitié de mon corps ou que j’ai une névrite optique ?

Il y a deux ans maintenant, cette ombre m’a laissé sa première séquelle que je garderai à vie et qui n’est pas opérable. Elle marque son territoire, elle plante son drapeau sur une terre qu’elle conquiert au fur et à mesure du temps.

Depuis mon diagnostic, je n’ai jamais considéré cette ombre comme fondamentalement mauvaise. Je lui dois beaucoup de maux et de difficultés. Mais elle m’a aussi beaucoup apporté. Des prises de risques, une conscience de mes faiblesses et de mes forces, une ouverture d’esprit sur la médecine d’aujourd’hui et sur le corps humain, une évolution, une meilleure écoute de mes émotions.

J’ai longtemps considéré cette maladie comme quelque chose à oublier, à ne pas considérer comme important, vestige d’une gamine qui n’a pas compris son diagnostic. Mais désormais je sais que je dois me m’approprier, que je dois intégrer cette maladie, que ce n’est plus quelque chose de facultatif : après tout, nous habitons dans le même corps et nous partageons la même vie, les mêmes émotions. Je peux m’imaginer dans dix ans. Mais je ne saurai jamais ce que cette ombre me réserve, ce qu’elle aura la surprise de me faire. Alors je lui sers la main, je plante mon regard droit dans le sien. Je ne veux ni la laisser faire, ni la combattre, je veux juste la comprendre et essayer de cohabiter dans une certaine harmonie avec elle, cette ombre sclérosée. La mienne.

@s.a.u.d.a.d.e.s (compte instagram)

Source : lequotidiendumedecin.fr