Drogues : le poids de la pandémie pourrait se faire sentir pendant « des années », d'après l'ONU

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Publié le 25/06/2021

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

C’est une perspective alarmante que nombre d’addictologues et épidémiologistes semblaient craindre depuis plusieurs mois. En matière de drogues, « les retombées du Covid-19 pourraient se faire sentir pendant des années ». Telle est la prévision formulée par l’Office des nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) au décours de son rapport mondial sur les drogues 2021 publié hier.

Les conséquences de la crise sanitaire sur la santé globale des populations apparaissent encore peu claires, et elles semblent particulièrement difficiles à cerner en addictologie. Si, cet automne, de premières analyses décrivaient plutôt un recul des consommations de substances psychoactives à l’échelle mondiale pendant le confinement du printemps 2020, d’autres tendances inquiétantes telles qu’une diminution de la pureté des drogues semblaient se dessiner. Dans ce contexte, l’ONUDC s’est donné pour objectif, à partir des premières données disponibles, de « brosser un tableau complet des effets mesurables et de l’impact potentiel de la crise du Covid-19 » sur la production, le trafic et surtout les usages de substances illicites dans le monde.

Augmentation de l’usage du cannabis dès le 1er confinement

Premier constat dressé par l’office : si l’usage de drogues comme l’"ecstasy" ou la cocaïne, « habituellement consommées dans des lieux de socialisation », a bel et bien diminué avec la pandémie (sauf peut-être, dans des pays tels que la Belgique, l’Irlande, l’Espagne, le Portugal mais aussi la France, sous forme de crack), la consommation de cannabis a au contraire augmenté. De fait, 42 % des pays auraient rapidement enregistré une hausse de l'usage du cannabis au cours de l’année écoulée. Et la France est concernée. Dans le pays, pendant le premier confinement, « près d’un tiers des personnes qui consommaient [déjà] du cannabis [avant la pandémie] ont rapporté une augmentation de leur usage », rapporte l’agence.

Mais la pandémie a aussi eu pour effet d’augmenter les consommations non médicales de produits pharmaceutiques tels que le tramadol, les barbituriques et surtout les benzodiazépines. « Selon une enquête menée auprès de professionnels de la santé de 77 pays, une augmentation de l’usage non médical de sédatifs a été constatée dans 64 % d’entre eux », affirme l’office. En Europe, une recrudescence de tels mésusages aurait surtout été constatée pendant le second semestre de 2020 parmi des communautés marginalisées et des individus présentant déjà des troubles de l'usage de substances.

En outre, concernant les consommations d'opioïdes, des difficultés d’approvisionnement liées à la crise semblent avoir entraîné à l’échelle globale quelques changements des modes de consommation d’héroïne. Et ce au bénéfice d’usages particulièrement nocifs, l’office citant en exemple l’utilisation de cette drogue en mélange avec du fentanyl ou d’autres produits. Autre phénomène notable, qui concerne toutefois surtout l’Amérique du Nord : « un pic de décès par surdose d’opioïdes a été observé [...] après le début de la pandémie », déplore l’ONUDC.

Des drogues plus dangereuses

Outre cette croissance de certains usages, l’office confirme par ailleurs une modification de la qualité de certaines drogues.

Fait particulièrement saillant : l’augmentation des consommations de cannabis s’est accompagnée « de l’adultération de cannabis avec des cannabinoïdes synthétiques, notamment en Autriche, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas ». Au sujet du cannabis, l’office insiste d’ailleurs sur un problème de fond, pré-existant à la pandémie : l’augmentation de la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol (Δ9-THC), composant psychoactif principal du cannabis, des produits disponibles. « Ces 20 dernières années, la puissance des produits du cannabis a presque quadruplé aux États-Unis d’Amérique et a doublé en Europe », souligne-t-il. Un phénomène d’autant plus inquiétant que d’après diverses enquêtes, les jeunes européens et américains se méfieraient de moins en moins du cannabis. Comme le rapporte l’office, « le pourcentage d’adolescentes et d’adolescents percevant le cannabis comme dangereux a diminué de pas moins de 40 % [ces deux dernières décennies] ».

Mais le cannabis n’est pas le seul à devenir plus dangereux. « Le rapport a également noté que les chaînes d'approvisionnement de la cocaïne en Europe se diversifient, faisant baisser les prix et [surtout] la qualité », résume l’agence. Or, une qualité moindre des produits à base de cocaïne est susceptible « d’augmenter les dommages causés par la drogue », et en premier lieu les overdoses.

Un impact à long terme

Finalement, au-delà de ces constatations, l’ONUDC craint que la pandémie n'alimente une vague d'addictions aux drogues pendant plusieurs années.

Et ce d’abord parce que les répercussions économiques et psychiatriques de la pandémie pourraient provoquer une élévation du nombre d'usagers et des quantités de produits consommés. « On observe partout dans le monde une hausse de l’inégalité, de la pauvreté et des problèmes de santé mentale, facteurs dont on sait qu’ils favorisent l’usage de drogues, ont des répercussions néfastes sur la santé et font augmenter les troubles liés à cet usage », rappelle l’office.

Mais aussi parce que les premiers mois de confinement et de pandémie ont montré les capacités des trafiquants et vendeurs de drogues à s’adapter. Par exemple, en France, la vente de cocaïne et de benzodiazépine en faibles quantités se développerait en réponse à la réduction des ressources économiques des consommateurs.


Source : lequotidiendumedecin.fr