Après l’échec du dossier médical partagé, le ministère change de braquet et lance en janvier « Mon espace santé ». Un coffre-fort numérique ouvert automatiquement à tous les citoyens, abritant DMP, messageries sécurisées, agenda et applis référencées par l'État. Faut-il y croire ?
La plupart des Français n'auront rien remarqué. Depuis le 1er juillet dernier, plus aucun nouveau dossier médical partagé ne peut être créé. Une mort discrète pour le DMP ancienne formule, après 17 ans de tergiversations. Le projet, imaginé en 2004 par Philippe Douste-Blazy – à l'époque le dossier était « personnel » – est passé entre les mains de tous les locataires du Ségur, de Roselyne Bachelot à Marisol Touraine en passant par Agnès Buzyn, qui tenta vainement de relancer le DMP en 2018. L’hématologue parie alors sur une dernière relance, espérant la création de 40 millions de carnets digitaux à l’horizon 2023, à grand renfort de spots TV. Trois ans plus tard — et seulement 10 millions de dossiers ouverts — le DMP est abandonné. Du moins dans sa forme actuelle.
500 millions de documents échangés par an ?
Confrères réticents à l'alimenter, patients déboussolés et pharmaciens qui peinent à ouvrir des dossiers pour un euro pièce… Face à l’échec du DMP old school, l'Assurance-maladie, et la délégation au numérique en santé (DNS) ont décidé de changer de braquet. Dès janvier sera lancée une nouvelle version (très élargie) du DMP, « Mon espace santé » (MES), accessible à chaque citoyen. En plus de récupérer les données des anciens DMP, ce service public digital intégrera une messagerie sécurisée, un agenda santé et un catalogue d’applications agréées par l’État. Médecins, patients, équipes hospitalières ou encore infirmiers pourront accéder à ce coffre-fort numérique – et le nourrir.
Nouveau projet, nouvelles ambitions : « À horizon de deux ans, nous espérons passer de 10 millions de documents échangés par an via le DMP à 500 millions », ambitionne Dominique Pon, artisan de MES et responsable ministériel au numérique en santé, qui évoquait en juillet un « moment historique ». « Chaque Français pourra alimenter son espace santé en y rangeant des comptes rendus opératoires, des photos d’ordonnance, ses antécédents d’allergies ou encore ses directives anticipées », détaille Dominique Pon.
Création automatique
Loin d’être un énième recyclage du dossier médical partagé, cette plateforme se veut, selon ses partisans, un changement de paradigme. Contrairement au DMP, Mon espace santé sera créé automatiquement pour tous les Français, sauf opposition explicite de leur part. En d’autres termes, dès janvier, les patients seront progressivement informés par mail ou courrier de l'ouverture de leur espace santé, par leur organisme d'Assurance-maladie. Et, « à l'issue d'un délai de six semaines à compter de l'envoi du courrier d'information, et en l'absence d'opposition de sa part, l'espace numérique de santé est ouvert », précise le décret d’application.
Cette création automatique a le mérite de l'efficacité ; mais fera-t-elle grincer quelques dents ? « Ça ne nous pose pas de problème », rassure toutefois Gérard Raymond, président de France Assos Santé. « C’est un service public qui nous est offert à nous, patients, c’est notre propre coffre-fort », ajoute le représentant des usagers, consulté lors du déploiement de Mon espace santé.
Cette réappropriation de son dossier médical par le patient est d'ailleurs la clé du succès espéré, comme en témoigne le slogan du ministère : « Vous avez la main sur votre santé ». Gérard Raymond souligne à cet égard que « le DMP ne nous a jamais attirés car on sentait bien que ça ne nous appartenait pas ». S’il est difficile d’estimer combien de Français refuseront la création de leur espace, en Australie, lors de la mise en place du DMP automatique en 2018, seuls15 % des citoyens s'y sont explicitement opposés.
Logiciels labellisés
Lors des concertations citoyennes qui ont précédé le développement de ce service, une partie des représentants des patients souhaitaient que le malade puisse choisir quel soignant aura accès (ou non) à ses documents. Séropositivité, antécédent d'IVG… Il est désormais possible de choisir de cacher certaines données à son kiné ou à son pharmacien par exemple. Seul le médecin traitant peut — et doit — avoir accès à l’ensemble du dossier médical. « C’est une bonne chose de donner la responsabilité totale au patient », surenchérit Gérard Raymond. « En 15 ans, c’est la première fois qu’on réussit à restituer enfin aux Français leurs données de santé », se félicitait Dominique Pon en novembre, lors du salon hospitalier Santexpo.
Côté médecins, la délégation au numérique en santé (lire page 14) parie sur une alimentation quasi-automatique du dossier — après accord du patient — via des logiciels métier mis à jour et financés par le Ségur du numérique en santé. Moins de clics, plus d’ergonomie, et des échanges sécurisés, promet l'exécutif. D'ici à deux ans, 80 à 90 % des médecins devraient être équipés de logiciels labellisés. « L’enjeu est de brancher les canaux d'alimentation automatique, a confirmé Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, lors d’une rencontre organisée par l’association des journalistes économiques et financiers, fin novembre. C’est ce qu’a permis le Ségur du numérique au travers de la labélisation et du financement des éditeurs de logiciels qui pourront permettre de rendre systématique l’alimentation de Mon espace santé ».
Attention aux éloignés du numérique
Dans les prochaines semaines, ministère et Assurance-maladie vont jouer leur va-tout avec le lancement de Mon espace santé, à grand renfort de campagne grand public et en direction des professionnels. Côté patients, la vigilance reste de mise « notamment sur la sécurité des données », souligne Gérard Raymond, au nom des usagers. De surcroît, « il ne faut pas laisser sur le bas-côté les éloignés du numérique, ni les plus défavorisés », met-il en garde. Sur ce dernier point, le ministère se veut rassurant. Mon espace santé ne va pas supprimer le circuit papier.
Quoi qu’il arrive, le défi s’annonce considérable « et ne se fera pas sans difficultés, sans tensions », anticipe Gérard Raymond. Mais après 17 ans d'atermoiements, le DMP relancé pourrait atteindre l'âge adulte.