« L’affaire Vincent Lambert me paraît contemporaine du transfert sur la justice de décisions médicales », estime le Pr Didier Sicard. Pour le président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), cette « erreur » initiale du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de suspendre, à la demande des parents, la décision d’arrêt de l’arrêt de soins prise par l’équipe médicale du CHU de Reims par le tribunal administratif « alors qu’il aurait pu avoir la sagesse de dire qu’il n’avait pas qualité pour répondre » relève du paradoxe.
« C’est qu’au moment où la médecine prend toutes les précautions pour prendre une décision sage et pensée que la société se sent partie prenante. Lorsque la médecine décidait seule, la société se taisait. Au moment où elle prend acte de la nécessité légitime de demander l’avis aux malades, la société prend le prétexte d’une situation particulière pour en faire un théâtre shakespearien », poursuit-il. Reste que cette erreur originelle a peut-être été bénéfique dans la mesure où elle a permis d’éclaircir des points de la Loi Leonetti qui, selon le Pr Sicard, « reste mal connue sauf dans les services de réanimation et de néonatalogie ». Le Conseil d’État dans son avis a réaffirmé que l’alimentation et l’hydratation artificielles (AHA) sont des traitements - et à ce titre, sont susceptibles d’être arrêtés. « Dans tous les pays du monde où existent des soins palliatifs, l’hydratation et la nutrition font partie des traitements », souligne le Pr Sicard. Le cas de Vincent Lambert n’est pas unique. « Tous les pays ont une affaire Lambert une fois tous les dix ans », note l’ancien président du CCNE qui évoque le cas en 1992 d’une patiente italienne, Eluana Englarao, qui a 21 ans a été victime d’un accident de voiture avec de graves lésions cérébrales. Après plusieurs années d’un état végétatif persistant, confirmé par les médecins, le père, estimant que sa fille n’aurait pas souhaité vivre dans de telles conditions demande l’arrêt des soins dont l’hydratation. Là ce sont les médecins qui étaient réticents alors qu’il n’y avait aucun conflit familial. Le Vatican a pris le parti des praticiens mais la plus haute juridiction italienne s’est rangée du côté du père. « L’hydratation a été arrêtée avec une sédation et la patiente est morte paisiblement », note le Pr Sicard. Le cas n’a pas fait jurisprudence - il en a été de même dans d’autres affaires au Royaume-Uni et aux États-Unis - et la loi n’a pas été changée en dépit du désir exprimé par le chef de l’État d’alors, Silvio Berlusconi. En France, le Conseil d’État a d’ailleurs pris le soin de préciser que « Chaque cas particulier doit faire l’objet, sur la base des éléments médicaux et non médicaux le concernant, d’une appréciation individuelle en fonction de la singularité de la situation du patient ».
Les juges ont estimé que, dans le cas de Vincent Lambert, la décision d’arrêt de ces traitements prise par l’équipe du CHU de Reims a bien respecté les conditions (critères médicaux et non médicaux) posées par la loi Leonetti. « Je trouve que Dr Éric Kariger est exemplaire », souligne le Pr Sicard.
Un acquittement qui fait débat
À Pau, dans les Pyrénnées Atlantiques, l’attitude du Dr Nicolas Bonnemaison jugé pour 7 empoisonnements sur des patients en fin de vie, entre mars 2010 et juillet 2011 est apparue moins exemplaire. « J’ai été surpris par l’attitude de ce médecin qui a été très digne du début jusqu’à la fin du procès. Il n’est pas du tout apparu comme un militant de l’euthanasie et il a tenu des propos très mesurés regrettant effectivement de n’avoir pas partagé la décision », reconnaît toutefois le Pr Sicard qui a été l’une des personnalités auditionnées lors de ce procès. À la barre, le Pr Sicard a expliqué que la responsabilité lui semblait plutôt celle de l’hôpital et plutôt collective. « L’hôpital s’est déchargé sur lui des situations de fin de vie et cela pose la question de l’attitude de la médecine », suggère le spécialiste d’éthique. Selon lui le procès Bonnemaison n’a pas été un procès pour l’euthanasie mais « un procès pour que la mort soit abordée dans sa complexité, qu’on en parle à l’hôpital et que cela ne soit pas évacué dans un couloir comme un non sujet ».
Le Pr Emmanuel Hirsch (département de recherche en éthique, université Paris-Sud) est plus sévère quant au verdict. « Nous sommes passés de l’homicide à une permissivité », fait-il observer. Selon lui, le signal donné par cet acquittement pourrait décourager ceux qui respectent les règles car dans ce cas, il n’y a eu ni consultation de la personne de confiance ni respect de la collégialité et des modalités de la sédation. « Dès
lors qu’il n’y a plus de recours à la loi, que la loi n’est plus signifiante pour les gens, la loi est périmée », estime-t-il en évoquant « l’agonie de la loi ».
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