La réforme pharmaceutique de Bruxelles suscite des réactions contrastées

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Publié le 28/04/2023
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Crédit photo : Phanie

C'est une réforme particulièrement ambitieuse de la politique européenne du médicament que la Commission européenne a proposé ce mercredi 26 avril, avec pour objectifs la lutte contre les pénuries, la préparation aux futures pandémies, la réduction des inégalités intracommunautaires d'accès aux médicaments, mais aussi la lutte contre la résistance bactérienne.

Ce projet de législation a été aussitôt critiqué par l'industrie pharmaceutique, qui y voit un risque de « saboter » la recherche et développement en Europe, comme l'exprime la directrice générale de la Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques. Pour elle, cette proposition « ne réussira pas à garantir l'accès aux traitements pour tous les patients ».

La réforme « aura un impact sur toute l'industrie de la biotech, réagit la présidente générale d'EuropaBio Claire Skentelbery. Les pays européens ont travaillé dur pour créer une industrie florissante, avec des bénéfices pour les patients et un développement économique. Nous demandons aux décideurs publics de mettre sur pied une législation qui continue cet effort. »

Des acteurs comme Médecins sans frontières, au contraire, voit d'un bon œil cette évolution. « Nous applaudissons cette proposition pour plus de transparence, qui oblige les laboratoires à ouvrir leurs livres de comptes et communiquer toutes les aides publiques dont ils ont bénéficié, reconnaît Dimitri Eynikel, chargé de défendre le point de vue de l'association à Bruxelles. De plus, les plans visant à accorder des licences obligatoires plus efficaces en suspendant la confidentialité des données et l'exclusivité commerciale seraient historiques. Ils devraient encourager d'autres pays et régions à adopter des mesures similaires pour garantir la disponibilité des médicaments. »

« Cette réforme est très importante pour nous », a indiqué lors d'un briefing technique Karolina Herbout-Borczak, membre de l’équipe de la commissaire européen Stella Kyriakides, en charge de la santé. La réforme couvre quatre aspects de la politique du médicament : une nouvelle réglementation (nouvelles règles sur la prévention et la gestion de pénuries, règles spécifiques sur les médicaments innovants), de nouvelles directives (concernant notamment les conditions d'obtention des AMM) et enfin des recommandations faites aux États pour lutter contre la résistance bactérienne.

Une forte inégalité entre les pays membres

Il s'écoule entre 4 et 29 mois, selon les pays, entre l'obtention d'une AMM et la mise à disposition d'un médicament, avec une variation de l'ordre de 90 % entre la moitié nord et la moitié sud du continent. Entre 2015 et 2017, sur les quelque 120 médicaments qui ont obtenu une AMM européenne, un pays comme l'Allemagne en a vu arriver 104 dans ses pharmacies, contre 11 pour la Lettonie, 16 pour la Lituanie ou 23 pour la Bulgarie (et 73 pour la France).

Pour contrer cela, la Commission affiche une ambition claire : « créer un marché unique du médicament européen », résume Karolina Herbout-Borczak. La Commission propose une refonte en profondeur du régime de protection réglementaire. Actuellement, un médicament qui obtient son AMM bénéficie d'une protection réglementaire des données de huit ans, suivi d'une période de deux ans de marché garanti, avec éventuellement un an de plus en cas de nouvelles indications.

Avec la réforme, cette protection de maximum 11 ans passerait à 12… mais à des conditions bien spécifiques qui favorisent les laboratoires fournissant des « services sociétaux » ou répondant à des objectifs de santé publique. Ainsi, sur ces 12 ans, deux ne seraient accordés que si le médicament est rendu disponible dans tous les pays de l'Union, six mois ne seraient accordés que si le médicament répond à un besoin médical non satisfait, et six autres mois si le médicament a fait l'objet d'étude clinique comparative. La période de protection inconditionnelle serait donc ramenée à 9 ans. Les molécules ayant obtenu le statut de médicament orphelin feraient l'objet d'une protection différente avec 9 ans d'exclusivité, plus un an en cas de lancement dans toute l'Europe, un an s'il satisfait un besoin médical non rempli jusqu'ici et 2 ans de plus en cas de nouvelle indication.

C'est ce nouveau mode de protection qui concentre le feu des critiques de l'industrie. « Notre système de protection resterait plus attractif que celui des États-Unis ou du Canada », se défend Karolina Herbout-Borczak.

Divisé par deux le temps d'autorisation

À l'image de ce qui a été fait avec le dispositif « Fast Track » en France, la Commission européenne veut réduire le temps nécessaire à l'obtention d'une AMM européenne, actuellement de 400 jours, pour le réduire à 180 jours, 150 en cas de procédure accélérée. Cette accélération passera par une réduction des lourdeurs administratives.

Autre sujet majeur de préoccupation : la prévention des pénuries. La Commission propose d'établir, d'ici à la fin de l'année, une liste des médicaments critiques sur laquelle Bruxelles va concentrer ses efforts en diversifiant ses fournisseurs, et en requérant de la part des laboratoires des plans de prévention des pénuries et une transparence absolue sur ses chaînes d'approvisionnement, afin d'en identifier les maillons les plus faibles.

À noter qu'une telle liste a été établie en France sous le ministère d'Agnès Buzyn, puis par la Haute Autorité de santé (HAS), sans résultat notable sur la multiplication des pénuries.

Sur ce point, le paquet pharmaceutique doit entrer en synergie avec d'autres réglementations et organismes européens : la loi européenne sur les matières premières (dont les principes actifs font partie), l'autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire et le Projet important d'intérêt européen commun (IPCEI).

La fixation des prix reste une prérogative nationale

En ce qui concerne la fixation des prix, pas question de remettre en cause la compétence exclusive des États en la matière. La Commission ambitionne toutefois de mettre à la disposition des États membres une boîte à outils pour aider à la négociation des prix : partage des données cliniques, obligation d'études comparatives avec des traitements déjà existants, règlements obligeant les firmes à fournir le coup réel de la recherche et développement, etc.

Le dernier point abordé par le projet de réglementation européenne est la question environnementale. Actuellement, une évaluation de l'impact environnemental de la production et de la contamination environnementale de chaque médicament est exigée, mais « les documents arrivent souvent trop tard ou incomplèts, constate Karolina Herbout-Borczak. Nous souhaitons donc qu'une AMM puisse désormais être refusée par la Commission, ou révoquée, en cas d'impact environnemental trop négatif ou de dossier incomplet. »

Il est aussi prévu d'étendre cette exigence aux médicaments arrivés sur le marché avant 2005 et la mise en place de la première réglementation environnementale sur les médicaments.

En revanche, la réforme ne traite pas des questions de relocalisation de production des médicaments en Europe : « Je pense qu’il est important de clarifier le champ d’application de cette réforme. Elle porte sur l’autorisation des médicaments. Leur production relève, elle, de la politique industrielle de l'UE », précise Karolina Herbout-Borczak.

Une mesure controversée pour lutter contre la résistance bactérienne

Pour lutter contre la menace croissante de la résistance aux antibiotiques, dont le développement est jugé peu lucratif par les laboratoires, la Commission propose un système controversé de bons d'exclusivité transférables. Il s'agit de permettre à une entreprise, en échange du développement d'un nouvel antibiotique, d'étendre d'un an la durée pendant laquelle elle a l'exclusivité sur la vente d'un autre produit plus rémunérateur, ou de revendre ce bon à une autre compagnie.

L'idée suscite les réticences de la moitié des États membres (dont la France et les Pays Bas), qui la jugent trop onéreuse pour les systèmes de santé tandis que Médecins sans frontières l'accuse de risquer de prolonger des « monopoles pharmaceutiques ». « Les conditions d'accès seront très strictes », assure Karolina Herbout-Borczak.


Source : lequotidiendumedecin.fr