Les trois ans du CeNGEPS

La volonté de professionnaliser les essais cliniques

Publié le 27/04/2010
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Crédit photo : S Toubon

LE QUOTIDIEN - Pouvez-vous redéfinir les objectifs du Centre national de gestion des essais de produits de santé (CeNGEPS) que nous avions présentés dans nos colonnes en 2007 ?

Pr PATRICE JAILLON - Le CeNGEPS est un groupement d’intérêt public créé pour une durée de quatre ans par les ministères de la Recherche et de la Santé afin de développer les essais cliniques industriels sur le médicament en France

VINCENT DIEBOLT - Il y eut une prise de conscience des pouvoirs publics et des laboratoires pharmaceutiques qui s’inquiétaient des difficultés de mise en place de ces essais en France depuis les années 1990 et de la lenteur de recrutement des patients dans les essais. L’enjeu était national pour que la France reste l’un des pays leaders en recherche biomédicale. Pour essayer d’inverser la tendance, un fonds d’environ 10 millions d’euros a été mis chaque année à disposition du GIP. Il provient d’une taxe additionnelle sur le chiffre d’affaires en France des laboratoires pharmaceutiques.

Dans l’environnement très concurrentiel entre pays que l’on observe actuellement à l’intérieur des firmes pour la réalisation de ces essais, expliquez-nous comment vous avez procédé.

Pr PATRICE JAILLON - Nous avons élaboré un plan de six mesures qui visent à apporter les moyens nécessaires aux investigateurs français pour « recruter plus, plus vite et mieux » les patients dans les essais cliniques de médicaments. Première mesure : demander aux sept directions inter-régionales de recherche clinique (DIRC) de désigner un référent « point de contact industriel » chargé de faciliter et développer les relations entre investigateurs et industriels du médicament.

Les DIRC ont-elles répondu à cet appel d’offre ?

Pr PATRICE JAILLON - Les 7 DIRC ont demandé des crédits, avec pour objectif essentiel le recrutement de techniciens d’essais cliniques (TEC). Ces TEC sont mis à disposition des cliniciens investigateurs qui en font la demande pour les aider à recruter les malades dans les essais cliniques. À ce jour plus de 200 TEC sont financés par le CeNGEPS dans les sept DIRC.

VINCENT DIEBOLT - Troisième mesure : assurer la standardisation dans tous les établissements hospitaliers, y compris les CHU, des procédures de mise en place des essais cliniques industriels. Un modèle de convention « Hôpital-promoteur industriel » et une grille nationale de calcul des coûts ont été négociés par le CeNGEPS avec des représentants du Leem et des DIRC en 2007/2008.

Cette grille des coûts des essais industriels est-elle effectivement appliquée ?

VINCENT DIEBOLT - Une enquête nationale réalisée entre avril et juin 2009 a montré que près de 80 % des professionnels utilisant cette grille en étaient satisfaits et l’utilisaient régulièrement.

Quelles sont les autres actions mises en œuvre par le CeNGEPS ?

Pr PATRICE JAILLON - La quatrième mesure, lancée en 2008, vise à soutenir la constitution des réseaux nationaux de cliniciens impliqués dans les mêmes thématiques de recherche. Dix-neuf réseaux de compétence sont actuellement soutenus par le CeNGEPS dans des domaines identifiés comme les plus porteurs en recherche clinique, tels que la maladie d’Alzheimer, le diabète, la pédiatrie, la vaccinologie, la cardiologie … Nous comptons ainsi développer la collaboration entre médecins hospitaliers et médecins de ville. Sans cette collaboration, il est illusoire de pouvoir réaliser des essais cliniques avec des patients ambulatoires. Nous souhaitons que cette contribution des médecins de ville au recrutement et au suivi des patients dans les essais soit reconnue et valorisée en tant que telle.

VINCENT DIEBOLT - Les deux dernières mesures commencent à être mises en application. Il s’agit, d’une part, de la mise en place dans les services ayant l’activité de recherche la plus intense (80 établissements, dont les CHU, les centres de lutte contre le cancer …) du logiciel SIGREC. Ce logiciel va répertorier, pour le ministère de la Santé, la totalité des essais cliniques réalisés en France, le nombre de centres d’investigation ouverts et le nombre de malades inclus dans les essais. Aucune de ces informations n’était disponible en ligne auparavant. Cet indicateur de recherche clinique permettra au ministère de la Santé d’attribuer des crédits « MERRI » aux hôpitaux en proportion de l’activité de recherche de leurs cliniciens.

Et la dernière mesure ?

Pr PATRICE JAILLON - Trouver les moyens de faire comprendre aux Français l’importance des essais cliniques pour la découverte des nouveaux médicaments, les informer que les lois de 1988 et 2004 protègent les droits des malades, et que c’est un « devoir citoyen » que de participer à ces recherches cliniques. Un site internet grand public « notre-recherche-clinique.fr » vient d’être lancé par le CeNGEPS. Il permettra aux patients intéressés de connaître les conditions de réalisation des essais et de trouver des informations sur les essais cliniques en cours à proximité de leur domicile.

Nous souhaitons que les médecins traitants de ces patients soient le relais d’information sur ces essais en cours.

Pouvez-vous, après trois années d’existence du CeNGEPS, commencer à en mesurer les effets ?

Pr PATRICE JAILLON - L’enquête que nous venons de réaliser fin 2009 nous montre un premier résultat positif sur le recrutement des patients dans les essais de médicaments. Le taux de recrutement pour les essais cliniques terminés ou en cours en 2008 était d’environ 64 % (c’est-à-dire 64 patients recrutés par rapport à une estimation initiale théorique de 100 patients). Lorsqu’un essai est réalisé dès son démarrage avec l’aide de TECs financés par des fonds du CeNGEPS, la médiane nationale du taux de recrutement est supérieure à 100 %, ce qui signifie que le recrutement est supérieur à celui escompté lors de la mise en route de l’essai.

VINCENT DIEBOLT - Le deuxième résultat chiffré correspond aux temps mis par les directions de recherche clinique des établissements hospitaliers pour régler l’ensemble des questions nécessaires au démarrage des essais cliniques. Nous aurons prochainement les données 2009 avec en ligne de mire des délais en-dessous des 50 jours alors qu’ils étaient de trois mois au lancement du CeNGEPS.

À vous entendre on ne saisit pas encore très bien ce qui a changé pour les investigateurs français au cours de ces trois années ?

Pr PATRICE JAILLON - Le maître-mot c’est la « professionnalisation ». Un clinicien investigateur aujourd’hui n’est plus isolé. Même si le recrutement des malades dans un essai dépend principalement de sa motivation, il travaille en équipe avec des professionnels de la recherche : TEC, ARC, pharmaciens, gestionnaires des budgets, biostatisticiens… Pour la première fois nous pouvons mesurer les effets du travail des 200 TECs financés par le CeNGEPS, ce qui prouve que la situation des essais cliniques de médicaments en France s’améliore. C’est la condition pour qu’un grand pays à forte tradition médicale comme le notre reste à la pointe de cette recherche scientifique appliquée.

* Président du CeNGPS

** Directeur du CeNGPS

 Propos recueillis par le Dr ALAIN MARIÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 8759