La France est accro. En 2020 selon l’INSEE les produits addictifs drogues, alcool, tabac concentraient 8 % des dépenses des ménages, soit plus de 50 milliards d’euros par an. Les Français boivent et fument trop, ils sont les champions d’Europe de consommation de médicaments. Ils sont aussi les premiers fumeurs de cannabis.
Chaque jour en France il va se fumer environ une tonne de cannabis. Et tous les jours de l’année. Au prix moyen de 8 euros le gramme, des millions de consommateurs vont dépenser plus de 3,5 milliards d’euros pour se livrer à ce plaisir interdit. Aux yeux de la loi ils sont des délinquants et peu importe qu’ils aient 18, 30 ou 70 ans, qu’ils soient issus des cités ou des beaux quartiers et que leur consommation soit uniquement récréative, festive ou motivé par d’autres raisons.
De surcroît, des Français de plus en plus nombreux s’adonnent aussi au cannabis bien être, le CBD, parfois d’ailleurs pour « décrocher » du THC, plus addictif. La filière est en plein essor en dépit des tentatives des services de l’État pour faire interdire la fleur de chanvre, autorisée partout en Europe.
Pire, 300 000 malades attendent une ordonnance de cannabis thérapeutique, ils y placent beaucoup d’espoir dans l’expérimentation en cours qui pour l’instant n’a concerné que 1 500 patients. Souvent entre errance et souffrance, ils peuvent se trouver contraints de cultiver eux-mêmes, de se fournir au marché noir ou de se faire soigner à l’étranger.
Sur les trois volets de l’usage du cannabis – récréatif, bien être, thérapeutique — notre pays est à la traîne parce que le cannabis reste la « fleur du mal », une drogue pour jeunes désœuvrés, marginaux en rupture ou artistes en mal d’inspiration. Ces caricatures s’accordent avec le discours martial et moralisateur de guerre au cannabis qui ne sert qu’à rassurer une petite frange de l’opinion. L’hypocrisie et la morale sont des constantes des discours sur le cannabis. Le triste résultat est que notre pays est le dernier en Europe de l’ouest à entretenir une politique qui va à l’encontre de la santé publique, engluée dans une impasse sécuritaire. Notre système de santé échoue à encadrer une jeunesse dont l’âge d’entrée dans le cannabis est le plus jeune au niveau européen.
La politique gouvernementale reste figée dans les années 80 à rebours d’une opinion réaliste, pragmatique et très ouverte à la question de la légalisation. Cette politique rétrograde refuse de considérer l’extrême banalisation du produit et sa pénétration dans toutes les couches de la population et tous les milieux sociaux. Elle tourne le dos à la nécessaire prévention de la jeunesse.
À l'heure où une immense majorité des experts dénoncent l'échec des politiques de répression du cannabis et où la plupart des démocraties prennent une approche radicalement différente, la France persiste dans une politique prohibitionniste qui l’isole sur un plan européen et dont l’échec est patent, malgré les moyens engagés.
Échec des politiques de répression
La coalition allemande, progressiste, s’engage aujourd’hui sur la voie d’une légalisation contrôlée qui s’inspire des expériences internationales et notamment du Québec. Tous les autres pays de nos frontières européennes s’engagent dans une autre politique que la répression dure. Nos dirigeants sont incapables de suivre ce mouvement. Pire, on peut se demander ce que fera notre police face un Allemand qui se rend pour les vacances en Espagne et traverse notre pays avec quelques grammes de cannabis et fleurs de CBD ? L’emprisonnement ou la tolérance ?
Voilà la France de 2022 : punir et pénaliser plutôt qu’éduquer et faire confiance. La prohibition du cannabis, est devenue un outil de contrôle des populations, laissant des millions de Français se tourner vers les réseaux illégaux où circulent d’autres drogues, autrement plus dangereuses. C’est sur ce terrain que la France est embarquée alors que le cannabis n’est pas un fait marginal ou sectoriel mais bien un phénomène de société.
En 2019, quand j’ai déposé ma proposition de loi pour une légalisation contrôlée du cannabis sous contrôle de l’État, j’avais pour ambition de permettre l’ouverture d’un vrai débat public et je savais qu’une trajectoire vers la légalisation était inéluctable. Ma proposition a fait son chemin jusqu’à être reprise en 2021 par la mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis dont les conclusions ont été unanimes en faveur de cette légalisation.
Mais le président de la République a fermé la porte, brutalement, au mépris du travail parlementaire, des pratiques, des usages, des besoins et des études d’opinion, de l’Europe. Nous roulons à contresens sur l’autoroute de la légalisation de tous les usages du cannabis. Il est urgent de revoir nos positions !
Exergue : La France persiste dans une politique prohibitionniste qui l’isole sur un plan européen et dont l’échec est patent
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