Clara de Bort Directrice générale de l’ARS Guyane

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Publié le 01/10/2021
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LE QUOTIDIEN : Comment analysez-vous la gestion de la crise sanitaire aux Antilles et en Guyane ? La réponse de l'État a-t-elle tardé ?

CLARA DE BORT : On pourra répondre à ces questions quand l’épidémie sera terminée, quand on pourra comparer les vagues, les décisions prises, leur efficacité et le respect des mesures en question. Mais je ne pense pas que les pouvoirs publics aient réagi trop tard aux Antilles. Et en Guyane, lorsqu’on a pris des mesures de freinage, l'incidence était bien moindre (200 cas pour 100 000 habitants) qu’aux Antilles (600 pour 100 000) où la flambée a été extrêmement rapide avec un taux d’incidence qui a triplé en quelques jours de 200 à 600… 

Pour bien analyser, il faut aussi regarder si les mesures de prudence ont été respectées. N'oublions pas le brassage des populations, notamment avec les touristes venus aux Antilles pour faire la fête. Il faut rester très humble car la population ne réagit pas toujours comme on le voudrait : certains sont dans une lassitude, une résistance ou même une inconscience, ce qui fait que les décisions des autorités n’ont pas toujours les effets escomptés. Tout dépend de l’évaluation du risque dans la population : comme l'épidémie se prolonge, les gens s’habituent au risque, aux litanies de morts, aux taux d’incidence élevés. Et ils ajustent leurs comportements. Sans oublier que, dans certains groupes extrêmes, on a tendance à croire que ce ne sont pas les vrais chiffres, que l’on a crié au loup pour rien…

Enfin, lorsqu'on fait appel à des renforts, il faut parfois attendre une semaine pour qu’ils puissent partir tout en veillant à ne pas faire venir trop de renforts pour rien. Cela oblige les ARS à avoir la capacité d'anticiper exactement la situation sous une dizaine de jours, ce qu’on n’est pas toujours capables de faire.

Si l’épidémie a flambé aussi vite, n'est-ce pas lié au fait que les établissements ultramarins sont sous-équipés en matériel et sous-dotés en personnel ?

Oui. Par exemple, la Guyane fait partie des territoires les moins dotés en professionnels de santé, avec aussi très peu de lits de réa. Car notre population est très jeune, avec des pathologies qui nécessitent peu de séjours en réanimation en temps normal. Quand on a vu la première vague en métropole, on a justement augmenté le nombre de lits de réa. Pour passer de 11 lits avant le Covid à un minimum 30 lits occupés depuis début mai.

Le mouvement antivax reste très présent en Guyane. Cela complique fortement l'intervention de l'État ? 

Oui, la "norme sociale" en Guyane est encore d’être contre la vaccination ! Beaucoup de gens se sont fait vacciner sans le dire, parfois en le cachant à leurs proches. On a aussi des élus et des leaders d’opinion qui ne se positionnent pas en faveur de la vaccination.

Des professionnels de santé nous disent qu’ils en ont assez de parler de vaccination, parce qu’ils s’en prennent plein la tête ! On observe même un recul de la promotion vaccinale, compte tenu de la violence verbale qui monte à l’égard des professionnels de santé qui sont épuisés, apeurés parfois, écœurés d’être aussi peu écoutés, voire vilipendés. Quand il y a un décès Covid, pour certaines familles, c’est forcément la faute des soignants ou de l’hôpital ! C’est une manière pour eux de se déculpabiliser de la mort d’un proche. 

Propos recueillis par Julien Moschetti

Source : Le Quotidien du médecin