Dr Pierre-Michel Périnaud, médecin généraliste à Limoges

Dans le Limousin, la mobilisation médicale envers les pesticides porte ses fruits

Publié le 12/05/2020
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Le président de l’association « Alerte des médecins sur les pesticides » continue depuis 2013 à mobiliser ses confrères et à alerter les autorités sur les dangers des pesticides. Un militantisme qui porte ses fruits.

Crédit photo : Phanie

Sur ce défi sanitaire et environnemental le Dr. Pierre-Michel Périnaud est incollable et intarissable. Dans les vergers limousins, tout a commencé pour lui par un conflit entre pomiculteurs et riverains. Mais  un terrain d’entente et des mesures concrètes ont finalement été mises en place.

Et la mobilisation a payé si l'on en juge par les changements notables qui ont marqué l’arboriculture limousine ses trois dernières années. Plus de 27 kilomètres de haies ont été plantés entre les habitations et les vergers de l’Appellation d’origine protégée (AOP) Pommes du Limousin. Le cahier des charges de l’AOP présente presque deux fois moins de perturbateurs endocriniens ou d’agents chimiques cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR). Fin 2019, leur nombre était de 16, contre 27 en 2017. Les hectares cultivés en bio représentent aujourd’hui 20% de la surface agricole utile, contre 13% en 2016.

A l’origine de ces bouleversements : une charte régionale. Appelée la « Charte pour une arboriculture Pomme du Limousin mieux intégrée à son environnement », elle a été signée en 2017, après deux ans de discussions. Les producteurs, les associations de défense des riverains et de l’environnement ainsi que les maires de Corrèze se sont mutuellement engagés. Aujourd’hui, 181 producteurs y adhèrent soit 90% des membres des organisations de producteurs. Parmi les trois associations impliquées, l’association « Alerte des médecins sur les pesticides » (AMLP) a joué un rôle clé.

A l'origine de sa création en 2013,  un médecin généraliste, le Dr. Pierre-Michel Périnaud, installé à Limoges. A l'époque, assistant à une réunion de riverains par curiosité, le médecin avait été interrogé sur les risques des épandages à proximité des habitations. « Avec deux ou trois confrères intéressés par les questions environnementales, nous n’en savions rien. Nous avons commencé à faire de la bibliographie. Suite à nos recherches, nous avons rencontré le sous-préfet de Corrèze », raconte-t-il. Devant le désintérêt de ce dernier, Dr. Périnaud lance alors un appel régional aux médecins afin d’alerter sur les risques des pesticides pour la santé. Quelques semaines plus tard, au printemps 2013, plus de 250 médecins l’avaient signé.

Au même moment, la publication du rapport de l’Inserm « Pesticides et Santé » conforte la cause des praticiens. Les médecins contactent rapidement les représentants des coopératives agricoles pour une première rencontre. « C’est une réunion dont on se souvient encore », dit en riant Dr. Périnaud. Les face à face sont tumultueux. De sérieuses menaces ont fait échouer une marche prévue dans les pommeraies par les associations. « Nous avons annulé notre manifestation à condition que la direction départementale nous mette autour de la table, les pomiculteurs, les riverains et les médecins », se souvient-il. S’ensuivent discussions et médiations pour aboutir finalement à la signature de la charte.

Une équipe soudée

« Les agriculteurs ont tenu des engagements forts. Les maires, eux, n’ont pas fait les efforts de signalétique prévus pour prévenir les épandages. Nous avons insisté pour que la charte évolue selon l’avancée de la situation », réfléchit Dr. Périnaud. Les médecins ont aussi obtenu des pomiculteurs qu’ils leur transmettent la liste des produits qu’ils utilisent. « Un perturbateur endocrinien et deux cancérigènes suspectés sont malheureusement indispensables aux exploitations qui fournissent la grande distribution. Dans ce cas, il faut augmenter les surfaces en bio et la vente directe, mais c’est un autre modèle économique. Malgré ça, les agriculteurs, auparavant hostiles, changent leurs pratiques », constate le médecin.

Pour que les changements locaux s’accomplissent, le cadre national voire européen doit être visé selon Dr. Périnaud. L’AMLP a élargi son appel à l’échelle nationale dès septembre 2013 et a récolté plus de 1800 signatures. En 2019, l’association a, entre autres, participé aux auditions de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en vue d’un rapport.Un engagement de plus en plus prenant pour le médecin. Pierre-Michel Périnaud a aujourd'hui réduit son activité de médecin généraliste à 60% : « Le coup de gueule s’est transformé en marathon. Nous sommes une équipe soudée : tant qu’on estime que les choses bougent, on avance. »

Gaëlle Caradec

Source : Le Quotidien du médecin