Le remboursement des consultations de psychologues pour tous par l'Assurance maladie, sur prescription, n'est pas une idée sortie de nulle part. C'est la CNAM elle-même qui a lancé l'idée en proposant dès 2018 une expérimentation dans quatre départements : Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Landes et Morbihan.
Les patients sont adressés par leur médecin traitant vers un psychologue pour un bilan initial (rémunéré 32 euros par la Sécu) suivi d'une dizaine de séances (à 22 euros) renouvelable une fois après avis d'un psychiatre. Ce sont 32 890 patients qui en ont ainsi bénéficié, adressés par 3 811 généralistes auprès de 748 psychologues cliniciens diplômés d'un master de psychologie, agréés par les ARS et ensuite conventionnés avec la CPAM.
Même si le dispositif est un peu bureaucratique, il enthousiasme le Dr Éric Henry, généraliste à Auray, dans le Morbihan. « Cela s'adresse aux patients naïfs de toute prise en charge ou traitement antidépresseur ou anxiolytique, explique-t-il. Nous utilisons des grilles d'analyse en consultation pour décider de l'adressage ». Le médecin cote une simple consultation ou il peut, au besoin, recourir à la cotation spécifique ALQP003 pour évaluation de dépression via une échelle de type Hamilton, MADRS ou Beck par exemple. « C'est vraiment important que nous ayons un regard dans cette prise en charge psychologique car nous connaissons les familles et leurs histoires », ajoute-t-il.
Bond en avant
Pour Émile Martin, jeune psychologue installé en libéral dans la commune depuis avril, cette expérimentation est même « un bond en avant » pour les personnes en détresse psychologique et qui n'auraient pas les moyens de payer une psychothérapie. « Les patients qui me sont adressés par les généralistes ont généralement entre 20 et 45 ans, raconte-t-il. Ils viennent pour des questions d'angoisse ou de dépression, souvent il s'agit de situations de vie compliquées comme des deuils ou des agressions qu'ils n'avaient pas pu retravailler par eux-mêmes ». S'il se réjouit que cet accès « normalise » le recours au psychologue, il déplore la faiblesse de la rémunération et préférerait que le patient le paie et soit ensuite remboursé, pour favoriser son « investissement symbolique ».
Chose peu banale, l'expérimentation n'est pas encore terminée (elle était prévue jusqu’à fin 2022) ni évaluée qu'elle a déjà reçu l'onction de la Cour des comptes. Dans leur rapport annuel de février, les magistrats ont salué la pertinence du projet, inspiré du modèle anglais de prise en charge graduée, en soulignant les « gains potentiels de cette approche, même pour l'Assurance-maladie, du fait de la réduction des consommations ultérieures de soins, de médicaments ou d'arrêt de travail ». Un argument de poids pour inviter les pouvoirs publics à généraliser l'expérimentation sans attendre. La Cour balaye au passage les inquiétudes parfois exprimées par le corps médical. « Un risque parfois cité serait le manque de formation adaptée des psychologues, notait-elle. Or, même si ce risque était avéré, ses effets seraient limités car l'exercice est très cadré ».
Sans conteste, c'est également la détresse psychologique chez une partie de la population engendrée par la pandémie, en particulier durant les confinements, qui a poussé le gouvernement à accélérer la cadence. Des dispositifs d'exception ont d'ailleurs été mis en place pendant la crise, avec un succès relatif. PsyEnfantAdo ouvre aux enfants de 3 à 17 ans l'accès à dix consultations sur prescription médicale, sans avance de frais, jusqu'en janvier prochain. SantéPsyÉtudiant permet aux jeunes, sur adressage du médecin traitant ou du service de santé universitaire, de bénéficier de trois séances chez un psychologue qui est directement remboursé par l'université. Ce sont ainsi un peu plus de 10 000 étudiants de 53 universités qui ont été accompagnés par 1 765 psychologues.
Les complémentaires dans la boucle
Les organismes complémentaires santé n'ont pas été en reste. Depuis mars, ils proposent à leurs adhérents le remboursement intégral de quatre séances de psychologue, en accès direct cette fois-ci, à hauteur de 60 euros. Un succès selon la Mutualité Française qui a compté, en cinq mois, un demi-million d'adhérents bénéficiaires. Ce qui ne l'empêche pas de porter un regard critique sur la généralisation du dispositif proposé par le gouvernement. « Les annonces qui ont été faites lors des Assises de la santé mentale n'ont pas été concertées en amont, ni avec les psychologues, ni avec les psychiatres, regrette Éric Chenut, son nouveau président. On voit que le positionnement tarifaire ne correspond pas à la réalité des pratiques ».
La Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) a joué le jeu. « C’est un dispositif qui s’est inscrit dans la continuité de nos actions, souligne Benoît Fraslin, son nouveau président. Nous allons le maintenir et l’évaluer. Il sera complémentaire du remboursement des consultations de psychologues que vient d’annoncer le gouvernement ». La démocratisation de la prise en charge psychologique en ville est désormais inéluctable.
Article suivant
La réforme en pratique
Des expérimentations qui ont su convaincre l'exécutif
La réforme en pratique
« À 30 euros la consultation, quels sont les psychologues qui accepteront ce tarif ? »
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier
Soumission chimique : l’Ordre des médecins réclame un meilleur remboursement des tests et des analyses de dépistage
Dans les coulisses d'un navire de l'ONG Mercy Ships