LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Les patients se plaignent de plus en plus des soins prodigués par les médecins. Comment peut-on expliquer cette évolution ?
Dr ÉTIENNE MIREAU : Depuis 2002, les voies de recours des patients contre les médecins et le système hospitalier se sont étoffées avec la mise en place des Commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUCPC) et des Commissions de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI). Les usagers de la santé disposent donc désormais de multiples modes d'entrée dans le contentieux vis-à-vis d’un soignant qui va d’une simple plainte exprimée au cours de la consultation, à une lettre au directeur, à l’Ordre des Médecins, au tribunal administratif, au tribunal civil voire au tribunal pénal.
Effectivement depuis quelques années, le contentieux – pris dans son sens le plus large – augmente dans le domaine de la santé : de plus en plus de patients demandent leur dossier, écrivent aux directeurs, aux chefs de services, à l’Ordre des Médecins… Le plus souvent, la démarche institutionnelle des patients reste toutefois limitée : l'augmentation du contentieux réel au sens juridictionnel, augmente moins rapidement.
Ce contexte contentieux qui se généralise retentit sur le psychisme des médecins qui sont déstabilisés par cette mise en cause, même si dans la grande majorité des cas, la démarche initiée à leur encontre n’aboutira pas dans le temps.
Quelles sont les motivations des patients qui s’engagent dans la voie du contentieux vis-à-vis des soignants ?
Le patient est un justiciable comme un autre, il a le droit de porter plainte. Le contentieux est le reflet d’une démarche sociétale vers des exigences de service et de résultats. De plus en plus, le patient voit le système sanitaire comme n’importe quel autre bien de consommation, comme n’importe quelle activité commerciale. Alors il se plaint du médecin s’il n’obtient pas un résultat à la hauteur de ses attentes.
La question des contreparties financières n’est pas encore au premier plan. En France, en effet, à l’inverse d’autres pays les – États-Unis par exemple, les avocats ne peuvent pas être rémunérés uniquement en fonction des résultats (pacte de quota litis, pacte de quote-part du procès). Les procédures civiles et pénales sont donc rarement engagées sans un minimum d’arguments puisque l'avocat devra être payé quoi qu'il se passe.
Depuis la mise en place des CCI auxquelles les patients peuvent recourir sans frais – puisque le fonctionnement de ces commissions est à la charge du contribuable – de plus en plus d’usagers y ont recours « pour voir s’il n’y a pas moyen de gagner un peu d’argent » sans rien investir. Certains patients qui se réfèrent aux CCI choisissent même de continuer à être suivis par la même équipe, car ils gardent leur confiance aux soignants, mais ils estiment qu'une complication médicale nécessite une compensation financière.
Même en l’absence de faute, l’impact psychologique de la remise en cause est-il important ?
Tous les médecins se sentent attaqués dès les premières phases de ces démarches contentieuses, et c’est une réaction normale. Ils sont déstabilisés par la remise en cause qui est violente à vivre car, encore une fois, à de très rares exceptions, ils n’ont commis aucune faute. Il faut savoir que la meilleure façon de se rassurer, est de répondre à la mise en cause et d'y répondre le plus professionnellement possible en se faisant aider idéalement par un juriste et un médecin expert.
Le contentieux au sens très large du terme a un retentissement sur la vie professionnelle, personnelle et la santé du médecin. Ces procédures sont souvent très longues dans le temps. La gestion émotionnelle de la remise en question est donc particulièrement importante, bien plus que la gestion juridique car le nombre des fautes professionnelles réelles est très limité. Lorsque la conclusion de procédure arrive enfin et le plus souvent confirme la bonne prise en charge du patient, les conséquences psychologiques, parfois physiques, professionnelles, sur le praticien sont encore là et ne vont pas toujours disparaître avec le temps.
Puisque le contentieux existe et existera de plus en plus, il faut tout faire pour qu’il ait le retentissement le moins important sur la vie du médecin.
Pour cela, le médecin doit dans un premier temps acquérir des connaissances juridiques et médico-légales de base, pour qu’il soit rassuré sur la finalité probable de ce qui lui arrive : il doit savoir ce qu’est un aléa, un manquement, une responsabilité sans faute, une preuve d'information… Cela permet d'une part de prévenir et limiter le contentieux, et d'autre part de vivre la procédure plus sereinement.
En pratique comment éviter de se sentir déstabilisé par une plainte de patient ?
Avant tout, le médecin doit connaître des situations de mise en jeu de la responsabilité médicale, toute la gradation dans les voies contentieuses, les voies amiables et juridictionnelles de résolution des conflits. Il doit aussi savoir qu’à toutes les étapes de la mise en cause, il est souvent possible de désamorcer le conflit et de prévenir l’évolution vers un contentieux.
Les médecins hospitaliers doivent s’adresser dès le début aux cellules juridiques de leurs établissements. Ces structures, qui idéalement devraient inclure un médecin expert, analysent le dossier selon une vision juridique à la recherche d’éventuels aléas, manquements, défaut d’information… En cas de mise en cause de plusieurs praticiens ou d’un service, une réunion doit être organisée avec l’ensemble des personnes concernées pour éclaircir le dossier car l'absence d'explication cohérente au patient est souvent une incitation à poursuivre dans une voie contentieuse plus lourde.
En pratique libérale, les médecins doivent s’adresser à leur assurance professionnelle qui les orientera vers des médecins experts qui seront rémunérés pour leur prestation d’analyse médicolégale du dossier. Hélas, le plus souvent, les praticiens en exercice libéral n'ont recours à un médecin expert conseil qu'à partir de la phase de l'expertise judiciaire. Mon conseil serait au contraire, comme en milieu hospitalier, d'avoir recours à l'avis d'un expert avant cette phase judiciaire pour désamorcer le contentieux dans ses phases initiales.
Il ne faut jamais oublier qu’à partir du moment où on fait son métier correctement, le système est plutôt bien fait. Face à des réponses argumentées, les plaignants et leurs avocats ont encore tendance à ne pas poursuivre les médecins de façon injustifiée.
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