Les patients en situation de précarité sont victimes de « représentations médicales stéréotypées » chez les praticiens libéraux pouvant conduire à des pratiques de différenciation, voire à des discriminations, selon une étude publiée par le Défenseur des droits en partenariat avec le Fonds CMU.
Cette enquête s'est appuyée sur une analyse de discours de 50 médecins (généralistes et spécialistes) et chirurgiens-dentistes entre mars 2015 et juin 2016, invités à décrire les étapes de la prise en charge (accueil, diagnostic, traitement et prescription) de patients vivant dans des conditions de précarité – bénéficiaires de la CMU-C, l'ACS ou de l'AME.
Étiquette sociale
Premier enseignement : dans le domaine sémantique, la catégorie des « CMUs » est « largement utilisée par les praticiens, devenant « une autre manière de nommer les personnes pauvres ou en situation de précarité ». « On dit les CMU comme on dit les obèses, les borgnes [...] », déclare une pédiatre citée dans l'enquête. Or, aux représentations médicales du groupe des « CMUs » se superposent les préjugés caractérisant les personnes précaires, comme le « soupçon de fraude, la surconsommation de soins, l'absentéisme ou les retards fréquents », estime le Défenseur des droits.
Plus globalement, les personnes précaires sont vues comme des patients « par nature » difficiles à soigner. « Ces comportements "attendus" sont appréhendés de manière négative par les praticiens et servent parfois à justifier des refus de soins », peut-on lire dans cette enquête. « C'est pas toujours des gens faciles à soigner. Ils sont très exigeants, ils ne veulent surtout pas payer. Il y en a qui sont très gentils. Pas de problème. Mais certains ne sont pas gentils. Là on leur dit : allez-vous faire soigner ailleurs », témoigne un chirurgien-dentiste des Hauts-de-Seine, sondé dans le cadre de l'étude.
Les modalités de prise en charge économique ont également une incidence négative sur l'attitude des praticiens qui dénoncent « des délais de remboursement trop longs ainsi que des remboursements de soins sous-évalués ».
Stratégies de contournement
L'analyse du discours des praticiens ne permet pas forcément d'établir une typologie de situations assimilées à des refus de soins. Selon, le Défenseur des droits, ces pratiques s'expriment aussi « de manière plus insidieuse ».
Par exemple, il peut s'agir de la « réorientation systématique » d'un patient vers un autre confrère ou à l'hôpital, réorientation non justifiée par la disponibilité du professionnel de santé ni par la pathologie de la personne. Autres comportements relevés par le Défenseur des droits : des délais d'attente « anormalement longs » ou le refus d'appliquer les modalités spécifiques de tarification (absence de dépassements) pour certains patients précaires.
Les refus de recevoir sont « multidimensionnels », résume l'enquête, et « facilités par la catégorisation des patients ». « Qualifiés avant tout par leur couverture santé, des besoins spécifiques sont attribués aux patients CMU qui justifient pour les praticiens de les traiter différemment, voir de les orienter vers une offre de soins censée être adaptée à leurs spécificités comme les centres de santé ou l'hôpital », relève l'étude.
Pour un testing de portée nationale
Début janvier déjà, plusieurs associations avaient saisi le Défenseur des droits pour dénoncer les pratiques de douze médecins ou dentistes refusant (sur des sites internet de prise de rendez-vous) les soins à des patients bénéficiaires de la CMU ou de l’AME.
Dans ce contexte, le Défenseur des droits préconise de définir « légalement le refus de soins » avec une typologie des principales situations qui le caractérise. Il propose aussi de demander à la CNAM de recenser tous les praticiens « qui imposent des dépassements d'honoraires aux bénéficiaires de la CMU-C ou ACS ». Il réclame un test de situation (testing) « de portée nationale ». Enfin, il suggère d'inscrire les refus de soins dans le cadre des programmes régionaux relatifs à l'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies (PRAPS) des agences régionales de santé (ARS).
Cette proposition de testing n'a pas manqué de faire réagir le Syndicat des médecins libéraux (SML). Ce dernier qualifie ce travail de « fantaisiste » et rappelle que « les médecins exercent dans un cadre déontologique, après avoir prêté le serment d’Hippocrate ». À la place, le SML conseille au Défenseur des droits et au Fonds CMU « de s’employer à solutionner leurs problèmes administratifs entre eux et avec les caisses, au lieu de pointer du doigt les médecins libéraux pour finir de les démobiliser ».
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