Entretien avec une géographe de la santé

Joy Raynaud : « Que les régions aient des prérogatives accrues en santé, pourquoi pas ?  »

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Publié le 18/06/2021
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Consultante spécialiste de l'accès aux soins, Joy Raynaud constate une « montée en puissance » des problématiques de santé au niveau régional et une volonté de s'emparer de ces thématiques, accentuée par la crise sanitaire et le mouvement des gilets jaunes. La géographe juge nécessaire une clarification des rôles entre ARS et conseils régionaux.
« Le questionnement sur la gouvernance de la santé se retrouve dans les programmes »

« Le questionnement sur la gouvernance de la santé se retrouve dans les programmes »
Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Quelle a été la place des thématiques de santé dans ces élections régionales ?

JOY RAYNAUD : Il y a une montée en puissance des thématiques de santé au niveau régional, et notamment de l'accès aux soins. C'est donc un sujet important mais encore trop sous estimé face à d'autres plus "inquiétants" comme l'économie, l'emploi, le chômage ou l'immigration. Pourtant, on sait qu'il y a une vraie problématique de santé régionale avec des difficultés croissantes dans l'accès aux soins libéraux et hospitaliers.

J'observe aussi une thématique "montante" dans ces élections, celle de la dialectique entre santé et environnement. La plupart des programmes abordent la santé à travers sa dimension environnementale, au sens large – artificialisation des sols, ressources en eau, consommation d'énergie, pollution de l'air. Certaines régions ont mis en place des plans où la santé et l'environnement sont très décloisonnés.

Plusieurs régions semblent vouloir prendre la main directement sur la santé. La crise a-t-elle été un catalyseur ?

Oui, mais avec d'autres éléments. La crise sanitaire a renvoyé au rôle des agences régionales de santé (ARS), jugées trop technocratiques et très critiquées sur leur capacité à répondre agilement aux besoins des professionnels de santé et des patients, avec le manque de masques, d'équipements de protection, de moyens de dépistage, etc. Mais avant même la crise, il y a eu aussi l'impact du mouvement des gilets jaunes, qui a fait ressortir les inégalités d'accès aux soins, et la dégradation de l'offre de soins libérale. Tous ces éléments ont porté la santé au cœur des territoires et jouent sur les élections régionales.

La question du pilotage en santé s'est imposée. De plus en plus d'intercommunalités montent des projets avec les libéraux et contractualisent avec la région. Certains pensent même que la région est le bon interlocuteur car elle a un regard sur le local, tandis que l'ARS est une instance déconcentrée de l'État. Ce questionnement sur la gouvernance de la santé se retrouve dans les programmes. Xavier Bertrand, dans les Hauts-de-France, souhaite que l'ARS passe sous pilotage régional. D'autres estiment qu'il ne faut pas ajouter un échelon supplémentaire…

Mais certaines régions ne sont-elles pas beaucoup trop vastes, depuis la réforme de 2015, pour piloter finement les questions de santé ?

Si. Des régions comme Auvergne-Rhône-Alpes sont jugées beaucoup trop grandes pour appréhender les inégalités territoriales ; et donc la santé est plutôt pilotée à l'échelle du département, plus proche de la population et des acteurs locaux. Cela renforce le pouvoir des départements ! C'est intéressant dans le contexte actuel avec des outils comme les CPTS et les maisons de santé pluriprofessionnelles car ce sont les soignants qui se mobilisent pour faire émerger les projets.

Peut-être faudrait-il diminuer la taille de ces grandes régions dans la gouvernance et, en même temps, continuer à favoriser les initiatives locales pour prendre en considération les différences spatiales en santé. C'est dans les territoires les plus fragiles que les professionnels de santé sont les plus susceptibles de se mobiliser.

L'accès aux soins s'est-il dégradé ou amélioré au niveau régional depuis 2015 ?

Les évolutions sont contrastées. Chez les médecins généralistes, l'accès aux soins s'est nettement dégradé. En l'espace de cinq ans, on a perdu l'équivalent de 2 200 médecins généralistes. Cela a un impact direct sur la densité régionale et l'accessibilité des patients. Il existe aujourd'hui de grandes difficultés sur tout le centre de la France, mais aussi en Corse ou sur le littoral Sud-Atlantique, où on pourrait s'attendre à de fortes densités. Cette pénurie risque de durer un moment si l'on en croit les projections démographiques de la DREES.

Il y a également une forte tension chez les kinés, qui ont de plus en plus de difficultés à suivre les patients chroniques ou à assumer des prises en charge rapides. Les infirmiers en revanche ont connu une forte croissance de leur population et sont 15 000 de plus qu'il y a cinq ans. Globalement, ils n'ont pas de problème pour répondre à la demande de soins.

Faut-il aller vers une vraie régionalisation de la santé, par exemple avec un pouvoir de coercition sur les installations ou un ONDAM régionalisé ?

Si on invente de la coercition au plan régional, c'est la fin de la médecine générale ! Il faudrait plutôt revaloriser cette discipline et appliquer des mesures incitatives. Le modèle du salariat, déjà envisagé par nombre de régions ou départements, peut être une solution. Il cartonne auprès des jeunes, sensibles à la protection sociale et à la réduction de leurs charges administratives.

Que les régions aient des prérogatives accrues en santé, pourquoi pas ? Mais il faudrait alors simplifier au maximum car je crains que tout pouvoir supplémentaire donné aux régions ne renforce notre millefeuille administratif. Par exemple, une enveloppe budgétaire dédiée se superposerait aux prérogatives des ARS, et nous n'y gagnerions pas en clarté et en pertinence de la gouvernance. Il faudrait bien définir les rôles de chacun. Ces élections permettront peut-être de montrer si les ARS sont confortées dans leur rôle, malgré les critiques, ou bien si des réformes importantes auront lieu au profit des conseils régionaux.

Marie Foult

Source : Le Quotidien du médecin