La prise en charge de la santé des migrants ( budget de l’AME, délai de carence pour l’accès aux soins des demandeurs d’asile…) vient d’être évoquée lors du débat sur la politique migratoire à l’Assemblée nationale. Jusqu’au président de la République qui a pointé du doigt l’AME. Et les décisions restrictives ont suivi : accord préalable pour certains soins couvert par l'AME comme la chirurgie de la cataracte, les prothèses de genou et de hanche; délai de carence de trois mois pour la couverture santé de base (PUMa) des demandeurs d'asile.
« Le débat politique actuel n'est pas nouveau, note le Dr Arnaud Veïsse, directeur général du COMEDE (comité pour la santé des exilés), cela fait plus de vingt ans que nombre de personnalités politiques, à l'approche d'échéances électorales, agitent le chiffon rouge: les migrants envahiraient l’Europe pour s’y faire soigner. Et ils multiplieraient les fraudes pour bénéficier de notre système de santé, jusqu’à se faire rembourser des prothèses mammaires. Ces fantasmes reviennent, malheureusement au détriment des impératifs de santé publique. »
« Et au détriment des économies, ajoute le Pr Yazdan Yasdanpanah, chef du service d’infectiologie de l’hôpital Bichat, responsable de la PASS (permanence d’accès aux soins de santé), car si on ne soigne pas tout de suite ces patients, on intervient quand les prises en charges coûtent bien plus cher. »
« Tous ces débats politiciens causent beaucoup de dégâts symboliques, ils entretiennent une ambiance délétère, déplore le Pr Marie-Rose Moro. « On fait croire que les migrants seraient mieux soignés que les Français de souche, s’indigne le Dr Brigitte Tregouët, alors que si on les expulsait, nos hôpitaux qui tournent grâce aux médecins étrangers, seraient paralysés ! C’est le remake de Fernand Raynaud sur le boulanger ! »
« À l’impératif médical de santé publique s’est substitué un discours politique consternant qui relègue les migrants malades en sous-hommes, accuse le Dr Patrick Bouffard, secrétaire général de Médecins du Monde. Nous observons une inflexion des politiques régressives à l’égard des migrants étrangers, alors que leurs conditions de vie se dégradent très vite. En l’absence d’un plan national à la hauteur des besoins, les interventions médicales se font en silos, chaque association, chaque structure bricolant dans sa région une médecine ni fait, ni à faire, faute de moyens adaptés et d’une vision d’ensemble. C’est du bricolage. » « Les disparités sont criantes suivant les régions et les ARS », confirme le Dr Arnaud Veisse.
"C'est le bordel général !"
Les médecins des migrants interrogés par le Quotidien dénoncent, chacun dans leurs sphères d’intervention, la situation de bricolage que la plupart désignent avec un autre B, pour employer le vocabulaire des salles de garde : « C’est le bordel général ! », s’exclament les Drs Max Duez, Vincent Jeannerod, Nicolas Vignier, Pierre Duterte, Christophe Lamarre, entre autres praticiens, tous vents debout face à la pénurie des moyens et à la mise en accusation régulière des soignants tandis qu’augmente le flux des réfugiés.
C’est la bronca des médecins des migrants. Ils demandent qu’on dépolitise leur travail (Dr Jeannerod), qu’on le sanctuarise (Dr Bouffard), qu’on mette un terme au double langage gouvernemental, avec l’approche médicale d’Agnès Buzyn et la «chasse aux migrants» de son collègue de l’intérieur (Dr Eprinchard), qu’on pérennise enfin des lieux d’accueil médico-sociaux adaptés (Dr Vignier), qu’on mette fin aux usines à consultation (Dr Chapplain), que les médecins puissent exercer dignement auprès de patients qui ont vécu l’enfer et qui aujourd’hui continuent à y descendre (Dr Morhan). Bref, que les médecins puissent simplement faire leur métier (Dr Pasquet-Cadre).
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