Le meilleur moyen pour transformer la majorité de mes confrères français en sosies de Greta Thurnberg est d’évoquer la notation des médecins par leurs patients ! Je précise « français » car l’évaluation des prestataires de services par leurs clients pose peu de problèmes dans les pays anglo-saxons, les médecins n’y faisant pas exception.
Certes, la santé présente une spécificité qui peut justifier au moins partiellement cette phobie du « rating » médical : autant il est facile d’évaluer la qualité d’une livraison, d’un repas ou d’une baguette de pain, autant la pratique médicale comporte des composantes peu visibles et donc difficilement évaluables par les non-initiés. Lorsque le traitement prescrit est curatif, son échec n’est pas synonyme d’une insuffisance professionnelle, et notre simple obligation de moyen n’est pas toujours perçue par nos patients comme une excuse valable. Lorsque le traitement est préventif, ce qui représente une grande part de notre activité, le patient n’a quasiment aucune possibilité d’évaluer sa pertinence et peut même apprécier à tort la prescription de traitements inutiles voire dangereux. Il en est de même pour la prescription d’examens complémentaires : combien de patients sont ravis de multiplier les bilans sanguins, scanners ou IRM inutiles, et a contrario en veulent au médecin qui refuse de leur prescrire.
Les patients, bien placés pour évaluer notre humanité
Il reste que la médecine est une science pétrie de valeurs humaines, et nos patients sont particulièrement bien placés pour évaluer cette humanité, indissociable d’un acte médical de qualité. Nous connaissons tous de savants confrères qui se révèlent de bien médiocres médecins, alors que d’autres, pourtant peu au fait de l’évolution des données de la science, possèdent des qualités humaines qui en font d’excellents praticiens. Il paraît donc difficile de refuser à nos patients le droit d’échanger des informations sur notre comportement à leur égard, tant que l’objet de leur évaluation se limite à ces éléments.
Comme souvent, les Nord-Américains se sont lancés les premiers dans l’évaluation des médecins par leurs patients. Le site https://www.ratemds.com, lancé en 2004 y a fait des émules. En France, les expériences ont été plus éphémères : www.note2bib en 2008, suivi de www.demedica qui ont tous les deux rapidement fermé leurs portes. C’est finalement Google Plan (https://www.google.fr/maps) qui reste le seul acteur significatif du marché, puisque tous les professionnels peuvent y être évalués, médecins compris. La notation de 1 à 5 étoiles peut être assortie d’un commentaire.
Ce service fait finalement peu de vague, essentiellement du fait de la désertification médicale ! La tension concurrentielle entre confrères, la fameuse « haine vigilante » qui tenait lieu de confraternité, n’a plus beaucoup de sens alors que la majorité des médecins sont débordés…
Suppression des avis : la loi du tout ou rien
La réputation numérique reste néanmoins un élément sensible pour certaines spécialités comme la chirurgie esthétique. Il apparaît clairement que certains cultivent cette réputation en incitant leurs patients satisfaits à les évaluer sur Google Plan, ou en invoquant la loi informatique et libertés pour faire supprimer les commentaires défavorables. Nous avons en effet en France une loi très stricte qui permet à quiconque de demander la suppression de données personnelles le concernant. C’est une aubaine pour ceux dont la réputation n’est pas flatteuse. Certes, cette protection est bienvenue face à des commentaires insultants ou malveillants, mais elle permet aussi d’échapper à des critiques justifiées.
Le CNOM attire l’attention des médecins sur le fait que les demandes de suppression auprès de Google ne peuvent pas être sélectives ; c’est la loi du tout ou rien : en cas de d’invocation de la loi sur la protection des données personnelles, ce sont toutes les appréciations concernant le médecin, et non seulement celles qui le gênent, qui seront supprimées. Il sera donc bientôt suspect aux yeux du public de n’avoir aucun commentaire attaché à son nom, ce « silence » pouvant traduire une demande de nettoyage par un médecin évalué défavorablement.
La peur des manipulations par des commentaires malhonnêtes (comme cela existe dans la restauration) est certes fondée, mais une mesure simple permettrait de l’éviter : si les patients étaient sollicités par l’assurance-maladie pour évaluer toutes leurs consultations, la loi du nombre garantirait la fiabilité du système. Un simple e-mail automatique suffirait, et cette mesure améliorerait certainement plus la qualité des soins que d’autres projets discutables de l’assureur santé. Restera à vaincre les résistances des syndicats médicaux, ce qui ne sera pas facile. Et c’est bien dommage.
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Le respect de la spécificité de la médecine doit s’imposer aux plateformes.
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