LE QUOTIDIEN : Pourquoi publier ce livre d'entretiens ?
JÉRÔME VAN WIJLAND : Grâce au Pr David, la bibliothèque de l'Académie de médecine a accueilli les archives administratives des CECOS. C'est un événement en soi ; il était d'autant plus important de les conserver que les centres ayant été créés sous le statut d'association, ces documents n'avaient pas vocation à entrer dans les archives de l'AP-HP.
Dans le même temps, un des lecteurs de la bibliothèque, Fabrice Cahen, auteur d'une thèse remarquée sur la lutte contre l'avortement illégal en France, réorientait ses recherches sur l'histoire de la lutte contre la stérilité masculine. J'avais par ailleurs des discussions passionnantes mais informelles avec le Pr David. Il nous a donc semblé pertinent de recueillir le témoignage du Pr David sur la fondation des CECOS, en mettant de côté les questions philosophiques et éthiques pour mieux tenir compte de la réalité historique et matérielle, et de son expérience personnelle et professionnelle.
Quel sort réservait-on à la stérilité involontaire, avant la fondation du premier CECOS à Bicètre ?
Pr GEORGES DAVID : Des inséminations se pratiquaient selon des méthodes mises au point à la fin du siècle précédent, dans un anonymat et secret complets. La stérilité n'était pas prise en charge par les centres hospitaliers. Quelques médecins payaient des jeunes donneurs, et demandaient de l'argent à des couples qui souffraient de n'avoir pas d'enfant et se heurtaient en outre à une condamnation du corps médical classique. J'ai trouvé cela injuste.
JÉRÔME VAN WIJLAND : Même les médecins qui pratiquaient des inséminations avec empathie n'arrivaient pas à penser une alternative au système de la rémunération.
Pr DAVID : J'étais alors au centre de transfusion de Saint-Antoine, affecté à la prise en charge des incompatibilités sanguines. Je rôdais auprès de mes collègues mon idée de donneurs bénévoles. Certains y croyaient, d'autres trouvaient cela irréaliste. Les CECOS sont nés de cette volonté de réhabilitation : que la médecine, les centres hospitaliers, reconnaissent la lutte contre la stérilité. Que des couples rencontrent des médecins qui trouvent légitime leur demande, sans chercher à les exploiter financièrement. La gratuité est ainsi devenue une particularité française, qui n'a pas été comprise par l'étranger.
Vous racontez vous être inspiré du modèle du don du sang…
Pr DAVID : J'ai vécu le passage du don du sang rétribué au don bénévole. À la fin de la seconde guerre mondiale, externe au centre de transfusion de Saint-Antoine, j'assurais les gardes la nuit. Les donneurs volontaires étaient des pompiers et des policiers rétribués car ils devaient se prêter à de multiples examens au préalable, et surtout se déplacer en urgence pour une transfusion qui se pratiquait encore d'homme à homme. L'invention de la conservation du sang a séparé l'acte du don de son utilisation et le bénévolat s'est imposé !
JÉRÔME VAN WIJLAND : Pareil changement technologique a eu lieu pour le sperme. Les donneurs se déplaçaient dans le cabinet du médecin où attendait la patiente, avant que les méthodes de congélation utilisées dans l'industrie vétérinaire soient appliquées au sperme humain.
Pr DAVID : Néanmoins, si le corps médical était très satisfait de la transfusion sanguine, le don de sperme a longtemps subi un rejet de principe. C'est pourquoi mon projet a dû remonter toutes les strates hiérarchiques - direction de Bicètre, puis de l'AP-HP, puis ministère de la santé - pour être validé. C'est finalement Simone Veil qui a eu un véritable souci d'encadrement et de contrôle du système. Elle souhaitait faire la preuve de son fonctionnement et mettre fin à son caractère caché.
Pensez-vous qu'à l'avenir, les CECOS pourraient revenir sur l'anonymat des donneurs, autre principe fondateur de l'institution ?
Pr DAVID : Je crois que cela va changer. Un responsable actuel des CECOS dirait que cela a déjà changé.
À l'origine, nous avions posé la nécessité absolue du secret, demandé par le donneur. Puis nous avons été confrontés, bien après, aux demandes des enfants ainsi conçus. Mes successeurs - Jean-Marie Kunstmann, Pierre Jouannet - se sont interrogés sur l'absolu de ce secret, et ont évolué vers une meilleure compréhension de cette demande. Aujourd'hui il existe une bonne acceptation d'une transmission des informations médicales non identifiantes. Par contre, demeure une réserve des donneurs sur la révélation de leur identité.
Cette question dépasse à mon sens le don de gamètes. Les progrès de la génétique, avec l'identification de notre génome entraînent un véritable bouleversement car on peut savoir « qui est de qui ». Le corps médical n'a peut-être pas encore intégré ce bouleversement.
« Inventer le don de sperme, entretiens avec Georges David, fondateur des Cecos », Fabrice Cahen, Jérôme Van Wijland. 120 p, Ebook (numilog.com), 7,99 euros, et papier, 9 euros, via les Éditions matériologiques, collection épistémologie de la médecine et de la santé. www.materiologiques.com
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