Longtemps taboue en France, la souffrance des médecins fait aujourd'hui l'objet d'une attention croissante avec des réponses qui viennent très souvent de la profession elle-même.
L'alerte ne date pas d'hier. En 2003 déjà, une étude inquiétante conduite par le Dr Yves Léopold (lire entretien) faisait état d'un taux de suicide de 14 % chez les médecins actifs – soit presque 2,5 fois plus que dans la population générale. Treize ans plus tard, rien ne prouve que ce sur-risque de suicide a diminué mais la prise de conscience des risques psychosociaux dans la profession, elle, a beaucoup évolué.
« L’assistance aux confrères dans l’adversité est une obligation déontologique et confraternelle, a souligné le Dr Thierry Lardenois, médecin généraliste et président de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), lors d'un colloque sur ce sujet. Le terme "adversité" doit être entendu au sens large englobant les difficultés de santé, matérielles, morales, sociales et professionnelles. »
Un généraliste sur dix en détresse psychologique
Les années 2000 furent le temps des pionniers, contribuant à la prise de conscience de la nécessité d'apporter une soutien direct aux confrères en souffrance, à l'instar de l'Association d'aide professionnelle aux médecins libéraux (AAPML, plateforme téléphonique 24H/24) fondée par le Dr Eric Galam en 2005, puis de l'Association pour les soins aux soignants (APSS) du Dr Léopold. Avec un message fort : un médecin qui ne va pas bien met aussi en danger la qualité des soins. « Le bien-être du soignant est un indicateur de qualité des soins, de sécurité pour les patients et de sérénité pour les soignants, insiste le Dr Éric Galam. A l'inverse le mal-être entraîne burn-out, erreurs au cours des soins et maladies pour le soignant ».
Les chiffres témoignent de la gravité de la situation. Un généraliste sur dix est en détresse psychologique, selon une étude ministérielle (2010). 2 à 4 % des généralistes libéraux avouent avoir eu des idées suicidaires (DREES). 53 % des praticiens de ville se déclarent menacés par le burn-out, selon une enquête de l'Union francilienne. Le mal-être commence tôt : 58 % des internes de médecine générale présentent au moins un critère de burn-out...
En 2014, 179 médecins ont contacté l'AAPML par téléphone (0826 004 580) dont deux tiers de généralistes. Besoin d'écoute et d'information, troubles dépressifs : près de la moitié a été orientée vers une consultation psychologique.
Au niveau national, l'association Mots (pour Médecin Organisation Travail et Santé) est venue compléter ces actions en 2010. Là encore, l'aide y est d'abord téléphonique (0608 282 589) et permet de consulter un confrère formé, avec une garantie de confidentialité et d'indépendance.
Confrères de soutien en Rhône-Alpes
Les initiatives fleurissent localement. C'est le cas du réseau ASRA (Aide aux soignants de Rhône-Alpes), créé en 2012 et qui concerne 30 000 médecins. « Nous sommes 45 confrères de soutien, tous bénévoles, à assurer une astreinte téléphonique 24 heures/24, sept jours sur sept, explique le Dr Michel Evreux, à la tête du réseau. Nous travaillons avec des psychologues, addictologues, psychiatres, conseillers juridiques… » L'ASRA reçoit trois à sept appels par mois. Le médecin qui appelle est reçu par un confrère formé à l'écoute, qui peut l'adresser vers une personne-ressource. Un tiers des appels concernent l'épuisement professionnel. Dans le Nord et l'Est de la France, l'association régionale d'entraide Nord-Est (ARENE) est également présente (0805 250 400).
En Bretagne, l'Ordre a pris les choses en main. En 2014, l'entraide régionale des médecins a été constituée sur la base du bénévolat. Une convention vient d'être signée avec l'assurance-maladie pour que les médecins bretons qui appellent (02 90 03 31 30) soient accueillis anonymement et gratuitement dans un centre d'examen de santé.
Dernière née, l'association Soins aux professionnels de santé (SPS) a été lancée en 2015 par le Dr Éric Henry, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). Son deuxième colloque se tiendra fin novembre au Val-de-Grâce, sur le thème du soin aux professionnels de santé vulnérables.
DIU ad' hoc
Ce tissu de l'entraide est renforcé depuis 2015 par un diplôme interuniversitaire (DIU), proposé par les universités Paris-Diderot et Toulouse-Rangueil pour apprendre à « soigner les soignants ». Il s'adresse à tout médecin inscrit à l'Ordre avec une expérience clinique de plus de trois ans et/ou élu d'une instance professionnelle. Pas en reste, l'Académie de médecine a consacré mardi dernier une conférence à la santé des médecins, où était évoqué notamment le risque suicidaire et addictif...
Cette constellation d'aide aux soignants pousse les médecins impliqués à demander une action unitaire. Le message a été reçu par le Dr Patrick Bouet, président de l'Ordre national des médecins, qui se prononce aujourd'hui en faveur d'un « grand mouvement professionnel » et « d'une fédération des initiatives » en matière d'entraide.
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