C'était une audition très attendue dans le cadre du procès de l'attentat de Nice : celle de l'ancien procureur antiterroriste de Paris, François Molins, sommé de se justifier sur la pratique systématique de prélèvement d'organes lors des autopsies des victimes, en vue de l'enquête (et non de dons).
Après l'attaque au camion-bélier sur la promenade des Anglais le 14 juillet 2016, qui a fait 86 morts et plus de 450 blessés, plusieurs familles se sont vivement émues en constatant que des victimes avaient été dépouillées de leurs organes lors des autopsies, sans qu'elles en soient prévenues. Sont concernées 14 victimes, dont quatre enfants, a confirmé au début du procès l'ex-directeur de l'institut médico-légal (IML) de Nice, Gérald Quatrehomme. Au total, 173 organes ont été prélevés et placés sous scellés, au cas où des analyses complémentaires seraient nécessaires à l'enquête (ce qui n'a pas été le cas).
Insuffisante information des familles
Ce lundi 10 octobre, François Molins, aujourd'hui procureur général près la Cour de cassation (l'un des plus hauts magistrats français), a reconnu devant la cour d'assises spéciale de Paris, que le choix fait par les médecins légistes de prélever l'entièreté des organes de certaines victimes « ne se justifiait pas » : « Mon sentiment, c'est que le prélèvement de la totalité des viscères n’était pas indispensable », a-t-il déclaré.
« Si c'était à refaire, il n'y aurait pas eu de prélèvements systématiques », a-t-il ajouté, reconnaissant aussi des insuffisances dans l'information aux familles. Il a néanmoins défendu la nécessité des autopsies pour les besoins de l'enquête et a rappelé les trois critères fixés par le parquet pour en déterminer la nécessité.
Des critères pour les autopsies
Le premier critère vise à « établir scientifiquement les causes du décès » si l'examen externe du corps n'y a pas suffi. Le deuxième s'applique lorsque la victime a eu une prise en charge médicale avant de décéder : il s'agit alors de « faire la part des choses » entre ce qui est dû à l'attaque et ce qui est lié à une « éventuelle négligence médicale ». Et enfin en cas de suspicion d'atteinte par balle.
« J'ai conscience que c'est un sujet douloureux pour les victimes, mais on ordonne une autopsie non pas pour faire de la peine mais parce qu'on en a besoin », a-t-il fait valoir. Ce n'est pas parce qu'« après coup l'autopsie n'a servi à rien qu'on peut inférer qu'il ne fallait pas l’ordonner ».
L'audition de François Molins a laissé poindre des désaccords entre Paris et Nice. C'est bien lui, en tant que procureur antiterroriste (entre 2012 et 2018), qui a ordonné de faire une autopsie « quand la cause du décès n'était pas totalement évidente », pour « les patients pris en charge médicalement, même brièvement » et lorsqu'il y avait « suspicion d'atteinte » par arme à feu, a rappelé le Pr Gérald Quatrehomme.
Mais François Molins a assuré s'en être remis à l'expertise des médecins légistes niçois. Hormis pour certains organes qu'il est nécessaire de prélever en entier lorsqu'on veut les analyser, le protocole habituel à Paris est de « prélever un échantillon, quelques centimètres », sur des organes lésés, et non sains. Lorsque le parquet de Paris donne ses instructions, « on n'imagine pas que ça va être autrement », a souligné le magistrat. « Ce n’est pas aux magistrats d’apprécier ce qu’il faut prélever sur un plan médico-légal, on fait confiance aux médecins. Le drame dans cette histoire, c’est peut-être un problème de communication », a-t-il encore déclaré.
Et de temporiser : « Je ne veux pas accuser l’IML de Nice, qui a bien travaillé. Je pense que tout ça participe d’une forme d’excès de zèle. En toute bonne foi, les légistes de Nice ont voulu bien faire, et ont fait quelque chose qui ne se justifiait pas. »
Incompréhension des familles
Du côté des familles, dont la majorité a découvert ces pratiques lors de la procédure, voire à l'audience, c'est l'incompréhension. « Je cherche à comprendre comment le système médico-judiciaire a pu en arriver à une telle absurdité : découper ma fille de 12 ans en morceaux pour déterminer qu'elle est décédée d’un "polytraumatisme compatible avec la percussion avec un engin à haute cinétique". Tout ça pour ça », a ainsi déclaré à la barre, il y a 10 jours, Anne Gourvès, qui en 2018, a découvert « avec effroi un procès-verbal de mise sous scellés d'organes » de sa fille. Et de dresser la liste des organes prélevés sur le corps de sa fille : encéphale et dure-mère, cœur, foie, poumons, reins, bloc cervical, glandes surrénales, rate… Ceci alors que le corps de la fillette n'avait pas été abîmé malgré le choc du camion.
Anne Gourvès a fait une demande de restitution des organes, assortie d'un test ADN qui lui a été refusé. Un document médical (qui évoque une personne de sexe féminin âgée d'une vingtaine d'années) l'a fait même douter du fait qu'il s'agissait bien de ceux de sa fille.
Pour ces cas, « je ne vois pas d'autres solutions que de faire des analyses ADN pour restituer ces organes aux familles », a déclaré François Molins, précisant qu'il s'exprimait en son nom, déclenchant quelques applaudissements dans la salle d'audience.
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