« On aurait dû faire mieux ». Le constat tiré par le Dr Valérie Olié, épidémiologiste à Santé publique France, est sans concession. Dans l'étude sur l'HTA en France réalisée sous sa coordination et publiée dans le « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » (BEH), les chiffres parlent d'eux-mêmes.
Un adulte sur trois est toujours hypertendu en France. Seule une personne sur deux a connaissance de son hypertension. Parmi les personnes hypertendues, seule la moitié est traitée par médicaments antihypertenseurs. Un peu plus de la moitié seulement (55 %) était contrôlé. Pour les femmes, les choses se sont même dégradées, avec une augmentation des chiffres tensionnels moyens et 16 % en moins de femmes traitées entre 2006 et 2016.
En clair, prévention, diagnostic, prise en charge et éducation thérapeutique, aucun paramètre n'a bougé en dix ans. « Même si la situation ne s'est pas détériorée, elle ne s'est pas améliorée comme elle aurait dû, explique Valérie Olié. Les pays de même niveau économique ont progressé sur plusieurs paramètres. Le diagnostic se fait facilement. Il y a un défaut de dépistage mais aussi d'annonce, de compréhension et d'acceptation du diagnostic. Certaines personnes déclarent ne pas être hypertendues alors même qu'elles prennent un traitement ».
En 2006, l'étude ENNS (Étude nationale nutrition santé) menée dans un échantillon d'adultes de 18 à 74 ans brossait déjà un tableau assez décevant : moins du quart des hypertendus étaient alors à la fois dépistés, traités et contrôlés par leur traitement, rappelle le « BEH ». « L'étude ESTEBAN, une étude transversale en population menée entre 2014 et 2016, nous a permis de faire un bilan à 10 ans dans un volet spécifique planifié et dédié », poursuit Valérie Olié.
Une enquête complète avec mesure de la PA
Outre la prévalence de maladies chroniques et de facteurs de risque vasculaires, l'étude ESTEBAN (pour Étude de santé sur l'environnement, la biosurveillance, l'activité physique et la nutrition), menée chez l'enfant et l'adulte, avait aussi pour but d'estimer les niveaux d'imprégnation à des substances de l'environnement, et de décrire les consommations alimentaires, l'activité physique, la sédentarité et l'état nutritionnel.
« La méthodologie d'ESTEBAN est importante, explique l'épidémiologiste. Une enquête seule ne suffit pas, puisqu'une personne sur deux ne connaît pas son hypertension ». Esteban incluait non seulement une enquête par questionnaires en face-à-face, par auto-questionnaires, une enquête alimentaire mais également la réalisation d'un examen de santé. La pression artérielle (PA) était mesurée lors d'un examen de santé, dans un centre de santé ou à domicile. La mesure était réalisée sur le bras droit à l'aide d'un brassard adapté à la circonférence du bras, à distance de 30 minutes de la prise de sang et après 5 minutes de repos, sans changement de position. Trois mesures ont été réalisées à 1 minute d'intervalle. L'HTA était définie par une PA systolique (PAS) ≥ 140 mmHg et/ou une PA diastolique (PAD) ≥ 90 mmHg.
Au total, sur les 3 021 adultes inclus, 2 169 participants ont eu au moins deux mesures de la PA, dont 974 hommes (45 %) et 1 197 femmes (55 %). L'HTA était considérée comme connue si les personnes avaient répondu oui à la question : « Votre médecin vous a-t-il déjà dit que votre tension était trop élevée » ou si les personnes avaient coché « HTA » à la question « Avez-vous, ou avez-vous déjà eu, une de ces maladies ou problèmes de santé ? ».
Focus sur l'HTA des femmes
Un point particulier interroge autant qu'il inquiète. « La situation chez les femmes s'est dégradée, souligne Valérie Olié. La proportion d'hypertendues traitées est passée de 61,7 % dans ENNS à 49,1 % dans ESTEBAN. De manière encore plus inquiétante, dans le sous-groupe des femmes ayant connaissance de leur hypertension, la proportion de femmes traitées est passée de 86,6 % dsans ENNS à 70,7 % dans ESTEBAN ».
La PAS moyenne a augmenté dans toutes les tranches d'âge chez les femmes avant 64 ans. « Même si la PAS moyenne reste < 140 mmHg, ce n'est pas un bon signal, estime Valérie Olié. À la ménopause, où il y a une baisse de l'activité physique et une augmentation de la corpulence et du tabagisme, on constate sur la même période une augmentation des infarctus du myocarde (IDM) et des accidents vasculaires cérébraux (AVC) ».
Les auteurs abordent la question de la suppression de l'ALD12 comme facteur potentiel ayant favorisé le surplace de la France. « Il y a autant d'études montrant un impact que l'inverse, explique Valérie Olié. Ce n'est pas tant le reste à charge que le signal envoyé par les autorités en termes de non-reconnaissance de la pathologie. Cela n'a pas sûrement dû améliorer l'observance. »
L'étude ESTEBAN ne permet pas de répondre à toutes les questions soulevées. « Un tiers des patients connus hypertendus ne se traitent pas, poursuit le Dr Olié. Est-ce le fait d'un niveau socio-économique défavorisé ? Ou à l'inverse le fait de personnes d'un niveau socio-économique plutôt favorisé qui décident de ne pas se traiter suite aux affaires médiatiques en santé ? Est-ce le fait du patient ou du prescripteur ? Chez les femmes, il est intéressant de creuser le point particulier des 16 % d'hypertendues connues qui ne se traitent pas ou plus ». Autre point, les disparités territoriales ne sont pas explorées, « or certains départements ou territoires sont plus touchés que d'autres, comme le Nord-Pas-de-Calais ou les DOM », souligne Valérie Olié qui compte se consacrer à ce sujet prochainement.