L’association des médecins gays a 30 ans

Le malaise persiste entre homosexuels et médecins

Publié le 01/06/2011
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Crédit photo : DR

LE 5 JUIN 1981, le CDC (Center for Disease Control) d’Atlanta signale 5 cas de pneumocystose pulmonaire, une affection décrite alors uniquement chez les sujets fortement immunodéprimés, chez cinq jeunes homosexuels californiens. L’épidémie de VIH/sida faisait son apparition. Un mois plus tôt, le 5 mai 1981, la première association de médecins gais au monde avait vu le jour. « Les médecins de l’AMG seront les premiers à organiser en France un colloque sur le sarcome de Kaposi, déficit immunitaire et homosexualité, avec Willy Rozenbaum », raconte au « Quotidien » le Dr Philippe Lagrée, président de l’association depuis trois ans.

Les médecins gays s’impliqueront dans le combat contre l’épidémie mais le sida, et pour cause, ne faisait pas partie des missions premières de l’association. Au cours de l’hiver 1979-1980, en réaction aux carences d’un corps médical jugé « réactionnaire dans le domaine de la santé gaie », une quinzaine de médecins et d’étudiants en médecine, homosexuels s’étaient regroupés à l’initiative du Dr Claude Lejeune. Leur souhait : rompre leur isolement, partager leurs expériences et agir auprès du public homosexuel et des médecins.

C’est ainsi qu’en juin 1980, le Dr Lejeune, alors collaborateur de la rubrique santé du mensuel homosexuel « Gai-pied », lançait avec son groupe, une enquête sur « les attitudes de médecins face au patient homosexuel ». Un appel à participation est lancé dans le « Quotidien », qui publiera les résultats en décembre 1980 : 71 praticiens ont accepté de répondre au questionnaire et 97 % d’entre eux estiment qu’un médecin peut être homosexuel. Néanmoins les médecins se déclarent peu informés et souhaitent l’être plus. Quoi que de peu de valeur sur le plan statistique, l’enquête a eu, de l’avis des médecins gays, un « impact symbolique très important ». La question gaie surgissait pour la première fois dans la presse médicale. « Cela nous a permis de nous montrer à visage découvert », explique le Dr Lejeune sur le site de l’association. Pour aider les patients gays, le groupe installe au printemps 1981, une permanence téléphonique dans les locaux de« Gai-pied ». C’est ce groupe qui devient officiellement l’Association des médecins gays en mai 1981.

Une vingtaine d’appels par semaine.

Trente ans après, l’association est toujours à l’écoute des homosexuels. Le nombre d’appels reçus lors des permanences téléphoniques bihebdomadaires de deux heures est certes en baisse par rapport au début, passant de 30 à 40 par soirée à une dizaine aujourd’hui mais la demande des patients persiste. Certains souhaitent des informations sur des problèmes médicaux spécifiques alors que d’autres appellent pour avoir les coordonnées de médecins sensibilisés aux questions gays. « Nous avons les coordonnées de médecin "gay friendly", une liste confidentielle non accessible via Internet de membres du réseau que nous avons développé sur l’ensemble du territoire », précise le Dr Lagrée.

Parler de son homosexualité reste difficile du côté des patients comme du côté de certains médecins. « Ce matin, témoigne le Dr Lagrée, j’ai reçu un patient qui avait trouvé mes coordonnées sur internet et qui venait pour un problème intime dont il ne pouvait pas parler à son médecin. "Il n’entend pas", m’a-t-il expliqué. Les patients font appel à l’association soit parce que les médecins les rejettent, soit parce qu’ils n’entendent pas. »

Aborder la sexualité.

Plus de 150 médecins adhèrent à l’AMG, ceux qui pratiquent dans les grandes villes étant plus nombreux que ceux exerçant en zones rurales. « Cela prouve que dans certaines régions, cela reste difficile. Certains médecins qui font partie de l’association ne veulent pas que cela se sache », assure le Dr Lagrée.

Installé depuis dix ans rue Lepic à Montmartre, il assure n’avoir pas de problèmes ni avec ses autres confrères ni avec sa patientèle. « En tant que médecin généraliste, je veux soigner tout le monde, des nourrissons aux plus âgés, les femmes comme les hommes. Le but ultime serait que personne n’ait plus besoin de nous, que tous les médecins soient à même d’accueillir tous les patients, quelles que soient leurs différences », insiste le Dr Lagrée. Selon lui, parler de la sexualité et de l’orientation sexuelle des patients devrait faire partie de l’examen clinique normal du patient, comme la recherche des antécédents. « Je ne le fais pas forcément à la première consultation, car elle est déjà lourde, mais à la suivante, j’aborde le sujet avec le patient », précise-t-il.

En janvier dernier, l’association a publié, en collaboration avec l’association AIDES et l’INPES (Instittut national de prévention et d’éducation pour la santé), une brochure, « Homosexuels, des patients comme les autres », destinée à sensibiliser les généralistes sur les problèmes spécifiques au public homosexuel, comme les IST, l’usage de produits psychoactifs, les difficultés psychologiques. Dans une rubrique « idées par spécialité », des exemples concrets de pathologie sont donnés. En gastro-entérologie, la brochure rappelle par exemple qu’un « ténesme et/ou épreintes, d’autant plus qu’il y a de la fièvre et une altération de l’état général, font pratiquer une PCR Chlamydiae trachomatis anale à la recherche d’une lymphogranulomatose vénérienne » ou en ORL, qu’un « chancre syphilitique peut exister également dans la gorge ».

Sursuicide des jeunes.

Pour prendre en compte les problèmes psychologiques des patients, une permanence téléphonique psy a aussi été créée au sein de l’association. Le sursuicide des adolescents est l’une des préoccupations majeure de l’association, qui a été sollicitée pour l’élaboration du plan de lutte contre le suicide dont le lancement est prévu à la rentrée en septembre. « J’ai récemment reçu l’appel d’un père qui venait de découvrir l’homosexualité de son fils. La famille le rejetait totalement et ce père avait peur que son fils ne se suicide », raconte le Dr Lagrée.

La découverte de l’homosexualité à l’adolescence peut-être une épreuve difficile, source de peur et d’angoisse, qu’il faut savoir détecter. À 47 ans, le Dr Lagrée se souvient de la découverte de sa propre homosexualité. Reprenant les propos du philosophe et sociologue, Didier Éribon, il affirme que  « la plupart des gays rentrent dans leur gaititude par l’insulte ». C’est comme cela qu’il a appris : « Je ne savais pas que j’étais homo, jusqu’au jour où j’ai été traité de "sale tapette". J’étais harcelé par deux élèves de ma classe et paniqué à l’idée d’aller à l’école », raconte-t-il. Résultat, il est obligé de redoubler sa première : « Mes parents, notamment mon père, qui était prof dans le lycée où j’étais, n’ont pas compris comment j’avais pu décrocher, passant de 15 de moyenne à 5. » Des signes qui, aujourd’hui, doivent éveiller l’attention des médecins et des enseignants.

* Brochure téléchargeable sur le site de l’association : www.medecins-gays.com.

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8975