Le « marketing sournois » des industriels du lait infantile scandalise des experts qui réclament des mesures

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Publié le 08/02/2023

Crédit photo : Voisin/Phanie

Malgré des bénéfices sanitaires « immenses et irremplaçables », moins de la moitié des nourrissons sont allaités selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), fustigent des experts, dans une série d’articles sur l’allaitement publiée dans « The Lancet ». Ils appellent les gouvernements à contrer les discours et l’influence politique des industriels du lait infantile et à mettre en place des mesures facilitant l’allaitement.

« Pendant des décennies, l’industrie des laits infantiles commerciaux a eu recours à des stratégies de marketing sournoises, conçues pour tirer parti des peurs et des inquiétudes des parents dans une période où ils sont vulnérables, afin de transformer l’alimentation des jeunes enfants en un business à plusieurs milliards de dollars », tacle un édito associé.

L’adoption en 1981 d’un Code international de commercialisation des substituts du lait maternel, censée encadrer les stratégies marketing des industriels, n’a pas empêché les ventes de ces produits d’approcher les 55 milliards de dollars annuels, rappelle un communiqué de l’OMS publié en parallèle.

Des stratégies marketing trompeuses

La série d’articles détaille d’abord les stratégies commerciales mises en place pour exploiter les inquiétudes des parents. Des comportements typiques des nourrissons tels que les pleurs, l'irritabilité et le manque de sommeil nocturne sont décrits comme pathologiques et présentés comme des raisons d'introduire le lait infantile. Les industriels utilisent « des données scientifiques médiocres pour suggérer, avec peu de preuves à l'appui, que leurs produits sont des solutions aux problèmes courants de santé et de développement des nourrissons, précise l’une des autrices, la Pr Linda Richter. Cette technique de marketing viole clairement le Code de 1981, qui stipule que les étiquettes ne doivent pas idéaliser l'utilisation de ces produits pour en vendre plus ».

L'allaitement maternel offre de nombreux bénéfices : il a des avantages nutritionnels, réduit les risques d’infection et diminue les taux d'obésité et de maladies chroniques plus tard dans la vie, liste l’OMS. Mais les industriels présentent la défense de l'allaitement comme un jugement moralisateur sur les choix des femmes, tout en exposant le lait infantile comme une solution pratique et source d’autonomie pour les mères qui travaillent.

Les auteurs soulignent pourtant que des mesures adéquates, répondant aux préoccupations des parents, peuvent favoriser l’allaitement sans entraver le libre choix des femmes. « Une critique des pratiques commerciales prédatrices de l'industrie ne doit pas être interprétée comme une critique des femmes », insiste l’édito.

Des politiques publiques nécessaires pour faciliter l’allaitement

Face au « vaste pouvoir » des industriels et aux « graves échecs » des politiques publiques, « des actions sont nécessaires dans différents domaines de la société pour mieux aider les mères à allaiter aussi longtemps qu'elles le souhaitent, parallèlement à des efforts pour lutter une fois pour toutes contre la commercialisation abusive du lait infantile », plaide un des auteurs, le Pr Nigel Rollins, scientifique à l'OMS.

L’enjeu est notamment de contrer les tentatives des industriels pour peser sur les politiques publiques et les processus réglementaires, préconisent les experts. « Certains groupes de pression de l’industrie du lait infantile ont mis en garde contre l'amélioration du congé parental », est-il relevé, alors que la durée du congé maternité rémunéré est corrélée à la prévalence et à la durée de l'allaitement.

Des mesures de soutien à la parentalité ou la création d’espaces sûrs pour allaiter peuvent lever certaines barrières. « Étant donné les immenses avantages de l'allaitement pour leurs familles, les femmes qui souhaitent allaiter doivent être beaucoup mieux soutenues afin qu'elles puissent atteindre leurs objectifs », y compris lorsqu’elles fournissent un travail informel et/ou non rémunéré, estime le Pr Rafael Pérez-Escamilla, un des coauteurs.

Ce soutien apparaît d’autant plus nécessaire que l’influence de l’industrie se diffuse également via des réseaux d'associations professionnelles ou des organisations de la société civile. Une étude publiée en avril dernier dans « Maternal & Child Nutrition » détaille les pratiques des industriels de l'alimentation infantile en France, qui ont établi, avec les associations et les professionnels, des liens « de longue date, remontant à la stratégie pionnière du "marketing médical" de Nestlé au XIXe siècle ». Ces liens aident les industriels à se positionner auprès du grand public comme des experts, déplorent les auteurs, citant des sites internets se présentant comme indépendants alors qu'ils sont financés par l'agro-industrie. 


Source : lequotidiendumedecin.fr