Entretien avec la Secrétaire d'État chargée des personnes handicapées

Sophie Cluzel : « Une personne en situation de handicap doit pouvoir se soigner où elle veut »

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Publié le 14/01/2022
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Le 16 février prochain, un colloque national sera l'occasion de partager les initiatives de terrain prometteuses pour améliorer l'accès aux soins des personnes en situation de handicap. Il marquera le lancement d'une banque d'expériences visant à essaimer les bonnes pratiques. Détails en exclusivité.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Pourquoi organiser un colloque handicap et santé ?

SOPHIE CLUZEL : Nous souhaitons partager les avancées réalisées pour les personnes en situation de handicap dans leur accès à la prévention et aux soins.

Un travail de fond a été mené depuis 2017. En 2019, un premier colloque « Unis pour l'accès aux soins » avait permis d'identifier les chantiers à mener. En 2022, les participants présenteront les initiatives qu'ils ont lancées sur leur territoire, que ce soit en termes de prévention, d'aller vers, d'accompagnement des professionnels, d'innovation dans l'offre de soins, de financement, ou encore de participation des usagers.

Nous lancerons en outre une banque d'expériences*, disponible sur le site coactis-sante.fr, pour que les porteurs de projets innovants en faveur de l'accès aux soins des personnes handicapées puissent les faire connaître. Une vingtaine de fiches expériences seront déjà disponibles dès la mi-février, portant, chacune, les coordonnées d'une personne à contacter pour avoir de plus amples informations. Le dispositif a vocation à monter en puissance et à être nourri par les acteurs de terrain (associations, médecins, organisations gestionnaires, établissements, communes, etc.) pour servir le plus grand nombre. Ce qui a été mis en place dans un coin de France au profit des autistes sévères ou pour soigner des personnes touchées par le handicap et le cancer peut être utilisé ailleurs. Il s'agit de dispositifs concrets, éprouvés dans la vraie vie, sur des sujets précis. Les handicaps sont si nombreux… Nous n'avons pas systématiquement besoin d'une solution nationale, mais souvent de solutions locales. Partager les bonnes pratiques permet d'aller plus vite.

Le même site coactis-sante.fr héberge déjà HandiConnect, qui propose des ressources pour aider les professionnels de santé à accueillir des patients avec handicap, et SantéBD, qui met à disposition des bandes dessinées pour expliquer les soins de façon simple.

Où en est l'accès aux soins des personnes en situation de handicap, comment le mesurer ?

Il y a encore des inégalités territoriales, mais les refus de soins diminuent, comme nous le constatons dans les enquêtes Handifaction, portées par l'association Handidactique et la Cnam. Pertinent baromètre de la réalité de l’accès aux soins, elles nous permettent d'analyser la raison des refus (formation, ressources humaines, coût) et d'identifier les territoires en difficulté.

La charte Romain Jacob se déploie sur tout le territoire et de façon accélérée depuis la crise du Covid. Elle prévoit notamment la formation d'un référent handicap dans tous les CHU et services d'urgences.

En outre, des expérimentations se développent sur tout le territoire comme les consultations HandiConsult (à Annecy, Tours, Châtellerault, Nice), les centres ressources ou encore les centres de vie intime, affective et sexuelle, qui peuvent être autant de lieux de diffusion des connaissances pour les médecins de ville.

Le principe de la société inclusive est de faire monter en expertise le droit commun. Nous souhaitons qu'une personne en situation de handicap puisse aller se faire soigner où elle le souhaite, avec sa carte vitale, comme tout un chacun. Concrètement, cela suppose une meilleure collaboration entre les soignants de ville, pas toujours formés à l'accompagnement, et le monde du médico-social.

En parlant d'expérimentations, vous avez lancé un appel à candidature pour un dispositif baptisé Facilisoins. Qu'est-ce ?

En 2019, nous avons confié à Philippe Denormandie une mission destinée à « améliorer l'accès aux soins des personnes en situation de handicap accompagnées par des établissements médico-sociaux, pour ne pas avoir à choisir entre être soigné et être accompagné ». Le rapport souligne le caractère obsolète d'une réglementation qui confie aux établissements médico-sociaux la charge de l'ensemble des soins de ville et de la pharmacie. Conséquence : les personnes accompagnées par ces établissements, enfants comme adultes, peinent à être soignées dès qu'elles sortent des établissements (par exemple lors des vacances), ou se retrouvent systématiquement aux urgences ou à l'hôpital. La prévention est encore trop insuffisante : par exemple, les femmes en établissement bénéficient trop rarement d'un suivi gynécologique.

Nous avons donc voulu une réforme de fond, organisationnelle, et pas uniquement financière, pour que les personnes puissent se faire soigner dans le droit commun, et pour permettre aux établissements de se recentrer sur leur fonction première : l'accompagnement, le care.

L'expérimentation Facilisoins vise à tester un nouveau modèle de financement des établissements médico-sociaux : ceux-ci doivent assurer, grâce à la dotation allouée par l'agence régionale de santé (ARS) via l'Ondam (objectif national de dépenses d'Assurance-maladie, NDLR) médico-social, les missions de coordination du parcours de santé et de prévention, les soins de nursing, l'accompagnement à l'autonomie. Mais ils n'auront plus à leur charge les soins de ville ni de pharmacie, assumés par l'Ondam.

Sur la base d'un « prototype » mis en œuvre dans une vingtaine d'établissements à Toulouse, nous avons lancé un appel à candidatures (jusqu'au 21 février) : la trentaine d'établissements sélectionnés aura 18 mois pour expérimenter ce dispositif, dans l’objectif de pouvoir généraliser la meilleure solution d’ici à deux ans.

Que reste-t-il à faire pour améliorer l'accès aux soins ? Quels sont les autres leviers sur lesquels jouer ?

L'établissement d'un certificat médical, dans le cadre de la constitution d'un dossier pour la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH), est désormais considéré comme une consultation longue, remboursée à hauteur de 60 euros. Il était important de donner les moyens au médecin d'évaluer, en prenant autant de temps que nécessaire, les besoins de la personne, au quotidien.

Nous avons consacré depuis 2017 une enveloppe supplémentaire de 13,7 millions d'euros au déploiement des consultations dédiées. Ces dispositifs sont une offre complémentaire pour des situations complexes pour lesquelles les soins courants généralistes ou spécialistes sont difficilement mobilisables, tant la prise en charge doit être spécifique. Nous avons également mis en place une tarification graduée des consultations hospitalières, tenant mieux compte de la situation spécifique des patients handicapés. En outre, nous comptons sur le développement de la téléconsultation et de la télé-rééducation. Cela peut représenter un investissement en termes de temps, au départ, mais c'est pour un gain ultérieur.

Le droit commun doit continuer de s'emparer du sujet du handicap, comme le fait d'ailleurs de plus en plus la Cnam.

Que sont les communautés 360 et quel rôle les médecins peuvent-ils jouer ?

Les communautés 360, dont le cahier des charges vient d'être publié, ont vocation à apporter des solutions concrètes aux personnes accompagnées, au plus près de leurs lieux de vie, lorsqu'elles joignent le numéro vert 0800 360 360. Les enjeux se concentrent autour des demandes de répit et d'accès aux soins.

Ces communautés ne sont pas un nouveau dispositif, mais une méthode de travail pour mettre en réseau des partenaires, dont les médecins, les caisses d'allocations familiales, les communes, ou encore les acteurs qui auront partagé leurs initiatives à travers la banque d'expériences !

 

*Parrainée par le Secrétariat d’État chargé des personnes handicapées et construite par l’association Coactis avec le soutien du groupe Nehs (créé par la Mutuelle nationale des hospitaliers), et dont le « Quotidien » est une filiale.

Propos recueillis par Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin