La commission d'enquête diligentée par l'Assistance publique – hôpitaux de Paris (AP-HP) et la faculté Paris-Descartes après le suicide du Pr Jean-Louis Mégnien, en décembre dernier, à l'hôpital Européen Georges-Pompidou, a publié jeudi 18 février ses conclusions définitives, après une première note d'étape mi-janvier.
Cette mission rend une série de préconisations sur la désignation des chefs d'unité, de service ou de département, la nomination des médecins hospitalo-universitaires, la prévention des risques psychosociaux et des conflits ou encore la gouvernance médico-administrative. Trois autres enquêtes sont toujours en cours.
Nominations : en finir des petits arrangements entre médecins
La mission suggère de « proscrire » les pratiques de « contrats » entre médecins s'entendant sur une chefferie tournante. Dans le cas du cardiologue décédé, une série de dysfonctionnements sur les procédures de nomination des chefs a pu « donner à penser que l'accord tripartite sur la chefferie [de son unité de cardiologie] était une manière déguisée d'en exclure le Pr Mégnien ». Ceci ajouté à d'autres éléments a « nourri le grave conflit » qui a opposé les médecins candidats.
Les enquêteurs proposent donc de désigner pour quatre ans le candidat local comme chef de service en chirurgie cardiaque de l'HEGP, « au cœur des tensions au sein du pôle coeur-vaisseaux-reins-métabolisme (CVRM) », dans lequel travaillait le Pr Mégnien.
Dans ce service, la situation a été ubuesque. Deux candidats se sont manifestés : un local, un extérieur à l'hôpital. Le jury a préféré le candidat étranger. Ce dernier a finalement renoncé. Plutôt que de retenir le candidat local, la décision a été suspendue puis un nouvel appel à candidature lancé.
La mission a constaté d'autres « facteurs de blocage » au bon fonctionnement de ce service ; l'ancien chef, âgé de 85 ans, est toujours présent dans les locaux, des relations « peu claires » sont entretenues avec un fabricant de dispositifs médicaux et un « conflit » persiste sur la nomination d'un médecin en concurrence avec un autre praticien du service.
Entre les mailles de la médecine du travail
Le suicide du Pr Mégnien a révélé la grande solitude à laquelle peuvent faire face les médecins en cas de souffrance au travail. Noyés dans la masse administrative, un peu à l'écart des autres salariés de par leur statut particulier, les praticiens passent très souvent entre les mailles de la médecine du travail.
Malgré trois alertes émises en 2014 à la direction de l'HEGP, à la direction de l'AP-HP et à la CME, sur l'état psychique et le risque suicidaire du Pr Mégnien, aucun dispositif de suivi ou d'aide au retour à la vie professionnelle (en décembre, après neuf mois d'arrêt de travail pour « longue maladie ») n'ont été mis en place.
Avant son retour, la réponse apportée « s’est limitée à la recherche d’une solution au conflit », notamment par la commission médicale d'établissement (CME). « Aucun entretien n’a été proposé au Pr Mégnien, les médecines du travail universitaire et hospitalière n’ont pas été sollicitées et aucun contact n’a été établi par la suite avec l’université en vue de faire appel à un médecin agréé ou à un comité médical », assène la mission d'enquête.
De plus, la médecine du travail de l'université est « responsable » du congé maladie du Pr Mégnien mais la visite de reprise d'activité est le fait de la médecine du travail de l'établissement. Le tout sans coordination entre les deux services et sans en informer le Centre national de gestion (CNG).
La mission réclame en conséquence à l'AP-HP une campagne de sensibilisation aux risques psychosociaux et de prévention des conflits à destination des médecins. Elle souhaite la désignation d'un référent « ressources humaines médicales » au sein de chaque pôle et la création de nouvelles instances de recours pour les praticiens.
Coup de balai dans la gouvernance médico-administrative
« Luttes d'influence », « cabinet noir », lobbying, concentration du pouvoir et manipulation des médias... En termes de gouvernance médico-administrative, les conflits sont nombreux à l'HEGP, ont enfin constaté les enquêteurs, qui suggèrent un coup de balai.
Ils proposent d'organiser le départ « effectif » de ceux qui ne sont plus rémunérés par l'hôpital et de mettre fin à la pratique du cumul emploi retraite à l'issue d'un consultanat sur site. Ils suggèrent également de promouvoir un code de « bonnes conduites » (sic) entre médecins et de « renforcer » la formation au management des responsables d'équipe médicales.
Les conclusions de l'IGAS dans deux mois
À la lecture de ses préconisations, Marisol Touraine a annoncé jeudi soir avoir confié une mission à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour analyser, « à la lumière des intéressantes préconisations » du rapport, « les conclusions à tirer des causes de ce drame et formuler des recommandations pour améliorer, au sein de cet établissement et dans l’ensemble des établissements hospitaliers, la détection et la prévention des risques psychosociaux, y compris des personnels hospitalo-universitaires ». La mission devra rendre ses conclusions dans un délai de deux mois.
Article précédent
Suicide à l'HEGP : la FHF refuse de polémiquer sur la « guerre » entre directeurs et médecins
Article suivant
Suicide à l'HEGP : l'enquête interne pointe un « grave conflit » entre médecins, Touraine saisira l'IGAS
Suicide à l'HEGP : la FHF refuse de polémiquer sur la « guerre » entre directeurs et médecins
Suicide à l'HEGP : une première enquête veut en finir avec les « chefferies tournantes »
Suicide à l'HEGP : l'enquête interne pointe un « grave conflit » entre médecins, Touraine saisira l'IGAS
Suicide à l’HEGP : le Pr Lantieri « intimement convaincu » du harcèlement du Pr Megnien
Suicide à l’HEGP : un syndicat demande que les risques psychosociaux soient une priorité
L’AP-HP lance un plan d’action pour répondre au malaise de la communauté médicale
Suicide à l'HEGP : le mouvement de défense de l'hôpital public dénonce le « pouvoir sans partage des directeurs »
La prescription d’antibiotiques en ville se stabilise
Le Parlement adopte une loi sur le repérage des troubles du neurodéveloppement
Chirurgie : les protocoles de lutte contre l’antibiorésistance restent mal appliqués, regrette l’Académie
L’orchestre symphonique des médecins de France donne un concert « émouvant » en hommage aux victimes du cancer du sein