Contribution

Taille, poids, corpulence : nos jeunes adultes sont-ils vraiment plus grands et plus gros que leurs grands-parents ?

Publié le 03/06/2021

Qu'apporte la comparaison des courbes de taille et de poids d’enfants et de jeunes adultes séparés par une quarantaine d’années ? Sont-ils plus grands que leurs grands-parents ? Le Groupement français d’auxologie (GFA) pointe un développement staturo-pondéral profondément modifié des générations actuelles, avec une augmentation de l’obésité. Cet article, trois ans après l’introduction de nouvelles courbes de croissance dans le carnet de santé, est aussi un hommage au professeur Michel Sempé, décédé l'an dernier et auteur des précédentes, qui portent son nom.

Crédit photo : Phanie

CONTRIBUTION - Les courbes de croissance sont un outil incontournable dans la pratique quotidienne des médecins et pédiatres amenés à prendre en charge des enfants. C’est en effet le suivi rigoureux des paramètres de croissance et en particulier de la taille et du poids qui permettent de dépister précocement une anomalie de la croissance et/ou de puberté, une obésité ou un trouble du comportement alimentaire comme l’anorexie mentale.

Jusqu’en 2018, les courbes de croissance qui étaient utilisées en France et en particulier dans le carnet de santé des enfants, étaient dessinées à partir des données numériques de « l’étude auxologique française » du Centre international de l’enfance de Paris.

Or cette étude historique - dont le Groupe français d’auxologie (GFA) est le dépositaire — est la seule qui ait été faite selon le type « longitudinal » par des mesures prises régulièrement pendant 22 ans à partir d’une cohorte représentative de près de 500 enfants sains. En hommage à celui qui a participé à l’essentiel de ce travail, le Pr Michel Sempé (photo), ces courbes sont connues sous le nom de « courbes de Sempé ».

Michel Sempé
Le Pr Michel Sempé, pédiatre et auteur des courbes de croissance, décédé en septembre 2020.

Depuis quelques années, l’apparition régulière d’études dites transversales apportant de nouvelles mesures à un temps T donnait l’impression que les enfants nés après la génération étudiée dans la série Française de référence pouvaient être plus grands et plus gros. Encore fallait-il le prouver ! Une récente étude française répond à ces deux questions.

C’est donc tout l’intérêt de l’étude du Centre de recherche épidémiologique et statistique Sorbonne (CRESS) à l’origine des nouvelles courbes du carnet de santé. Les chercheurs de l’unité INSERM 1 153 CRESS, en partenariat avec l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) ont opté pour une approche de type « big data » en apportant dans une étude transversale le poids de millions de mesures. Pour ce faire, d’après les documents accessibles sur Internet, ils ont demandé l’aide de 42 médecins tirés au sort et répartis en France dans des régions et des villes statistiquement représentatives. Les mesures auraient porté sur 261 000 enfants de 0 à 18 ans ayant pesé à la naissance plus de 2,5 kg. Les courbes de taille correspondent à 2 millions de mesures, les courbes de poids sont le résultat de 2,5 millions de mesures.

Trois enseignements principaux

Nos jeunes adultes sont-ils vraiment plus grands et plus gros que leurs grands-parents ? On peut en effet estimer qu’il y a près de deux générations qui séparent les jeunes adultes de la courbe de Sempé (1979) et ceux de la courbe du CRESS-AFPA (2018). Eh bien, les résultats des tailles en fin de croissance des filles et des garçons montrent que, contrairement à la croyance de bien des gens, cette taille est quasiment la même (voir courbes 1 et 2 filles et garçons).

Courbes1Garçons

 

Courbes1Filles

 

- Les petits sont toujours petits : 162 cm à – 2 DS à 18 ans pour les garçons CRESS - AFPA versus 163 cm en fin de croissance pour les garçons GFA ; 152 cm pour les filles AFPA – CRESS et GFA.

- Les moyens sont toujours moyens (différence non significative mais médiane de la population CRESS - AFPA non publiée et donc statistiquement non comparable à la moyenne Sempé),

- Mais les grands sont plus grands. Avec, à 18 ans, 190 cm à 18 ans pour les garçons AFPA-CRESS versus 187 cm GFA, soit + 3 cm (+0,5 DS) ; 177 cm pour les filles AFPA -CRESS versus 174,5 cm GFA, soit + 2,5 cm (+0,5 DS).

Il n’y a donc pas d’augmentation séculaire de la taille adulte stricto sensu puisqu’il n’y a pas de modifications pour les petits et les moyens, mais un simple élargissement de la répartition de la population de + 0,5 DS au profit des plus grands.

Courbes2GarçonsCourbes 2 filles

 

En ce qui concerne le poids, gare aux poids lourds !

En effet, pour les plus menus, il y a peu de changements et les limites des 3e percentiles sont quasi identiques. Pour les filles : poids à 18 ans AFPA = 43 kg / versus 40,2 kg Sempé. Pour les garçons : poids à 18 ans AFPA = 48,2 kg / versus 48,7 kg Sempé.

Pour ce qui concerne le poids adulte médian, il est également proche dans les deux sexes : les filles pèsent 3 kg de plus et les garçons 1 kg, avec dans le détail : dans les courbes féminines un poids moyen de 66 kg (versus 63 kg dans l’étude de Sempé) ; dans les courbes masculines un poids moyen de 66 kg (versus 65 kg dans l’ancienne étude longitudinale.

En revanche, la prise de poids est majeure au 97e percentile avec : pour les filles, environ + 14 kg à 18 ans pour les dernières courbes ; pour les garçons, environ + 18 kg à 18 ans. Sans commentaire !

Ce qui a vraiment changé, c’est le tempo de la croissance qui s’accélère, vers 3-4 ans chez les enfants de petite taille et, chez les enfants de grande taille, plus tard en période péri-pubertaire.

En effet, pour les enfants de petite taille, la comparaison des lignes - 2 DS CRESS-AFPA et GFA, montre que ces enfants grandissent plus vite les premières années (voir courbes 1 garçons et filles).

Chez les garçons, le décalage est maximum à 3 ans (+ 0,77 DS = + 2, 7 cm) et diminue progressivement pour rejoindre les courbes GFA à 15 ans. Les tailles à 18 ans sont semblables (162 cm = – 2DS). Chez les filles, le décalage maximum à 4 ans (+ 0,8 DS = + 2, 8 cm) diminue également progressivement pour rejoindre les courbes GFA à 15 ans. À 18 ans les tailles sont identiques (152 cm = - 2 DS).

Dans la situation des enfants de grande taille (voir courbes 2 garçons et filles), la comparaison des courbes + 2 DS montre également un tempo de croissance modifié qui s’accélère mais cette fois-ci surtout en période péri-pubertaire. Par contre, la fin de croissance est plus précoce et les tailles adultes ne sont pas aussi grandes qu’attendues.

Pour les garçons, le décalage est maximum à 12 ans (+ 8 cm) (+1,3 DS !). La taille à 18 ans est de 190 cm versus 187 cm soit (+ 3 cm = + 0,5 DS) alors qu’on en attendait plus en fonction du décalage à 12 ans.

Pour les filles, le décalage est maximum et de 8,5 cm à 10 ans (+1,6 DS !). La taille adulte est de 177 cm / 174,5 cm, soit + 2,5 cm = + 0,5 DS alors qu’on en attendait plus en fonction du décalage à 10 ans.

Augmentation de l'obésité

Au total, le développement staturo-pondéral des enfants des générations actuelles semble profondément modifié avec essentiellement une augmentation de l’obésité génératrice d’une accélération de la croissance et d’une avance de la puberté. Ceci raccourcit la durée de croissance ce qui fait que les tailles adultes ne sont pas ou peu modifiées.

En pratique, ceci nous conduit à intensifier toujours et encore nos conseils d’éducation nutritionnelle et la prévention de l’obésité dès les premières années de vie en particulier, et, de façon paradoxale, chez les enfants petits à la naissance. Cela nous amène également à prendre en charge les enfants de petite taille plus précocement si la taille est inférieure à – 1,5 DS et non – 2 DS comme précédemment.

Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.

(1) - Sempé M , Pédron G, Roy-Pernot MP.Auxologie, Méthodes et Séquences. Paris : Théraplix ; 1979,
(2) - Maryvonne Bouchard – Michel Sempé - Groupe français d’auxologie itinéraires staturo-pondéraux des filles et des garçons de la naissance à 22 ans 2012 – Editions Vassel Graphique – www.vasselgraphique.com - Bd des Droits-de-l’Homme ZAC du chêne BP 58 – 69672 Bron Cedex
(3) - Maryvonne Bouchard, Monique Jésuran, Michel Sempé The Present and Future of Growth Charts – National Status : FranceX. International Congress of Auxology – Sandoz Workshop – Florence (Italy) July 6, 2004
(4) - Courbes de croissance 2018 – Centre of Research in Epidemiology and Statistics Sorbonne Paris Cité – CRESS UMR 1153 données publiées dans le carnet de santé
(5) - Jean-Pierre Charvet « Elle et Lui se transforment » Croissance et différenciation sexuelle Publifusion éditeur 2006 
(6) – Jean-Pierre Charvet « La croissance » La croissance des enfants expliquée aux parents Alpen éditeur 2018

Dr Jean-Pierre Charvet, Secrétaire général du Groupe français d’auxologie (GFA), jpmcharvet@cegetel.fr et Dr Maryvonne Bouchard, Présidente du GFA, maryvonne.bouchard@wanadoo.fr

Source : lequotidiendumedecin.fr