Dépsychiatrisation de la transessexualité

Une décision qui ne passe toujours pas

Publié le 15/12/2011
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EN MAI 2009, à la faveur de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, se référant à la « dépsychiatrisation » de l’homosexualité, Mme Roselyne Bachelot avait annoncé la déclassification des troubles de l’identité de genre de la catégorie des affections psychiatriques de longue durée (ALD 23).

En novembre 2009, dans son rapport sur le transsexualisme, la Haute Autorité de santé (HAS) se faisait l’écho d’associations réclamant cette « dépsychiatrisation » et en février 2010 était publié un décret sortant le transsexualisme de cette liste des ALD tout en maintenant l’exonération de la prise en charge. « Cette annonce de Mme Bachelot faisait l’amalgame entre l’homosexualité et le transsexualisme et ne reposait sur aucune concertation avec les professionnels », estime le Dr Bernard Cordier, l’un des psychiatres parmi les plus expérimentés en France dans la prise en charge du transsexualisme. « Cela fait plus de 20 ans que je travaille dans ce domaine, avec des équipes pluridisciplinaires de la région parisienne. J’ai reçu en consultation près de milles personnes « candidates » à la transformation hormono-chirurgicale » indique le Dr Cordier qui exerce cette activité en réseau avec les hôpitaux de Saint-Louis, Cochin et Saint-Anne dans le cadre de réunions de concertation pluridisciplinaire. Avec des résultats à la clé. « Une psychologue de mon service va publier une étude sur 220 personnes passées en psychiatrie à Foch et opérées dans un autre établissement. Au total, elle a reçu 190 réponses. Parmi les personnes opérées ayant répondu, 91 % se déclaraient satisfaites », indique le Dr Cordier.

Ce dernier met en avant plusieurs arguments pour étayer son opposition à la décision de la ministre. « En l’état actuel des connaissances, il n’y a pas de marqueurs biologiques de cette anomalie. Par conséquent, le problème de cette « dysharmonie » entre le corps et l’esprit, est d’ordre psychique. La souffrance ressentie et exprimée est morale et correspond à un mal-être relatif à l’identité de genre. Il est source, surtout lorsqu’il est précoce, de perturbations de la structuration de la personnalité, notamment dans les processus d’identification de genre qu’elle suppose. Le sentiment précoce, profond et constant d’appartenir à un genre différent de celui de son corps et de son statut social, crée un décalage qui perturbe les relations intrafamiliales, la scolarité et les loisirs. La puberté, toujours mal vécue, semble fixer la problématique et générer d’autres perturbations de la vie relationnelle et sociale. Il est donc indispensable que de tels sujets bénéficient d’un suivi psychiatrique, non pour soigner leur trouble de l’identité qui semble avoir démontré sa résistance à tout soin psychiatrique, mais pour en atténuer les conséquences psychopathologiques ».

Le Dr Cordier met aussi en avant la compétence psychiatrique nécessaire pour établir un diagnostic différentiel, souvent difficile lorsqu’il y a des comorbidités psychiatriques : « Par exemple, le thème du genre n’est pas exceptionnel dans le délire schizophrénique » et tient aussi à souligner que les praticiens des autres disciplines (endocrinologues, chirurgiens), après l’annonce ministérielle, ont soutenu la nécessité de cette intervention forte de la psychiatrie. « Ils ont dit très clairement que, pour eux, il n’était pas imaginable d’intervenir soit par des prescriptions hormonales à vie, soit par la chirurgie, sans un avis psychiatrique et psychologique étayé sur une évaluation conduite pendant deux ans comme le demande la CNAM et le prévoient les recommandations internationales ».

Pour une seule et même pratique.

Pour faire entendre leur voix, les équipes de Paris, Marseille, Lyon, Montpellier et Bordeaux ont créé une association, la Société française d’étude et de prise en charge du transsexualisme (SOFECT), avec le Dr Mireille Bonierbiale (CHU Sainte Margueritte, Marseille) comme présidente et le Pr Marc Revol (hôpital Saint-Louis, Paris) comme secrétaire général. « Nous avons tenu notre deuxième congrès récemment à Marseille dans le but d’unifier nos protocoles. À terme, l’objectif est d’arriver à la mise en place d’une seule et même pratique en France », précise le Dr Cordier. L’IGAS va rendre prochainement un rapport à ce sujet.

Ce dernier estime enfin que la polémique récente autour de la théorie du genre dans les manuels de SVT n’a pas contribué à apporter de la clarté dans le débat. « Nous avons été confrontés au même amalgame entre l’orientation et l’identité sexuelles. Or, il faut bien tenir compte du fait qu’un adolescent, au moment de la puberté, est fréquemment dans une période de flottement dans son orientation et même dans son identité. Et lui dire que l’identité sexuelle est un choix est une contre-vérité. On est pré-assigné dans un sexe, avant même notre conception, ne serait-ce que dans l’imaginaire parental. Cette pré-assignation sera renforcée par des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Et l’état-civil n’en est que la conclusion », indique le Dr Cordier.

D’après un entretien avec le Dr Bernard Cordier, psychiatre et chef de pôle, hôpital Foch à Suresnes et Erasme à Antony.

 ANTOINE DALAT

Source : Bilan spécialistes