Les Français et le pain

Une étude socio-anthropologique

Publié le 22/06/2011
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Crédit photo : S TOUBON

Le domaine de l’alimentation s’est ouvert depuis quelques années à l’analyse anthropologique avec un intérêt croissant. En effet, avec l’augmentation de prévalence des maladies liées à l’obésité, l’alimentation est devenue une des premières préoccupations de santé publique. Mais l’alimentation ne correspond pas à une simple demande physiologique, pouvant s’expliquer en terme biomédical. Face à un patient, les dimensions sociales, familiale et culturelle doivent être prises en compte, afin de mieux comprendre « l’identité alimentaire » du patient et de pouvoir lui apporter une aide personnalisée et efficace. En ce sens, la sociologie de l’alimentation vise à améliorer la compréhension des différents comportements alimentaires et à décrypter la part de transmis personnel et collectif présente au sein de l’alimentation de chacun.

Un aliment plaisir

Le pain, par la place majeure qu’il occupe dans l’alimentation des Français, est un objet d’étude anthropologique particulièrement intéressant. C’est pourquoi, l’Observatoire du pain a initié en 2009 une recherche socio-anthropologique sur les rapports entre les Français et le pain, qui a permis de faire apparaître l’existence de plusieurs « familles alimentaires ». Si les comportements vis-à-vis du pain sont très divers, cet aliment bénéficie d’un statut particulier, symbolique et rassembleur, au sein de la culture alimentaire française, cristallisant pour beaucoup leurs valeurs familiales et culturelles.

Malgré le bouleversement actuel des habitudes alimentaires lié aux changements sociétaux, le pain reste un des piliers de notre alimentation (97% des Français en consomment quotidiennement), tout en ayant subi de nombreuses mutations, témoins des évolutions sociales. Autrefois aliment de base par nécessité, il devient désormais un « aliment plaisir », miroir d’une société de surabondance, plus individualiste et plus hédoniste. La miche de pain familiale fait progressivement place à la baguette et à une grande diversité de pains spéciaux. La consommation de pain est de plus en plus associée à une recherche de goût, de qualité et d’équilibre alimentaire, mais aussi de convivialité. Le pain est également un « aliment narratif », chargé d’affects, permettant aux Français de se raconter, de parler de leur culture, de leurs souvenirs. Il est le reflet des valeurs de chacun, le discours sur le pain étant un moyen d’exposer sa vision de la consommation et de la société.

Authentique, hédoniste ou nomade ?

L’analyse des résultats de cette étude sociologique a fait l’objet d’une publication aux éditions l’Harmattan en 2011. Dans cet ouvrage, Abdu Gnaba divise les Français en six grandes familles alimentaires en fonction de leur mode de consommation du pain et de leur rapport à la tradition. Pour le profil « Authentique », le pain est présent à chaque repas. Le pain de forme classique (gros pain ou baguette) est la référence, autour d’un repas familial traditionnel. « L’Hédoniste » privilégie le pain plaisir, en recherchant l’originalité et l’innovation, avec un souci de bien-être. Les pains spéciaux ou la baguette tradition ont sa préférence. Le « Bipolaire » oscille entre les deux profils précédents, respectant quotidiennement la tradition mais pouvant se laisser tenter par de nouveaux pains, par exemple le week-end. Le « Nomade » invente constamment son rapport au pain en fonction de son rythme de vie. Il consomme toutes sortes de pains et, s’il en reconnaît la valeur, il ne s’agit pas d’une contrainte dans son alimentation. Le « Déphasé » mange moins de pain que les précédents profils, mais plus par manque de temps et manque de structure de son alimentation. Il est conscient qu’il devrait le faire et à la volonté de changer dans un futur environnement plus serein. Enfin, « l’Errant » est le seul à être détaché du pain, à ne pas y attacher d’importance et à le considérer comme un aliment comme un autre. Il le remplace facilement par d’autres pâtes (pizzas, beignets…), et quand il en achète, il s’agit souvent de pain industriel.

Source : L’analyse anthropologique du rapport des Français au pain. Une réponse culturelle aux comportements alimentaires. Observatoire du pain. Mars 2011.

 Dr Camille Cortinovis

Source : Nutrition