Peut-on vraiment se fier à la seule mention d’absence de composants lorsqu’il s’agit de conseiller un cosmétique à un patient ?
Pour la Dr Martine Vigan, dermatologue et allergologue à Besançon, l’émergence du concept des produits « sans » est d’abord le fruit d’un contexte mediatico-commercial. « Tout a commencé en 2004 avec les parabènes, incriminés dans le développement de cancer du sein. Par la suite, certaines publications ont montré que les produits cosmétiques pouvaient donner lieu à des allergies liées à des conservateurs et parfums. On a donc vu fleurir les mentions “sans parabènes“, “sans conservateurs“ ou “sans parfum“ » résume la Dr Vigan. « Tout ceci a pour conséquence de générer chez le consommateur une sorte d’angoisse un peu diffuse », avec des allégations marketing « sans » qui se veulent intuitivement rassurantes mais qui ne reposent sur aucun rationnel scientifique, réglementaire ni même de bon sens commun, considère l’allergologue.
Des mentions faussement rassurantes
La mention « sans conservateurs » ne veut par exemple guère signifier absence totale de conservateur. « On arrive à une conduite d’évitement d’un vague risque, ce qui est très différent de l’éviction fondée sur la connaissance », souligne la Dr Vigan. « Pour la population générale, le “sans“ est sans intérêt », ajoute l’allergologue. « Pour le patient allergique informé du nom INCI de son allergène, seule la liste des ingrédients indexés s’avère utile et peut être complétée par une liste personnalisée », insiste-t-elle. D’où la nécessité d’apprendre aux patients à déchiffrer correctement la composition du produit, ce qui n’est pas toujours facile, tant l’information est parfois peu lisible, quand elle n’est pas cachée.
« En consultation, on entend souvent : “Docteur, je n’utilise que des produits naturels“ », raconte quant à elle la Pr Ann Goossens, allergologue au CHU de Leuven (Belgique). Mais certains patients oublient un peu vite que ces composés naturels englobent une diversité d’allergènes, avec des réactions multiples et croisées chez les sujets sensibilisés. Lorsqu’une dermatite de contact survient, les produits naturels ne sont pas souvent considérés comme source d’intolérance par les consommateurs et donc leur usage pas toujours mentionné au médecin.
L’autre difficulté est de détecter le ou les allergènes responsables. « La composition des produits naturels varie selon l’origine, les conditions de culture, la production, ainsi que la conservation, ce qui peut donner lieu à l’apparition de produits de contamination et/ou de dégradation », liées notamment à l’oxydation par l’air ou le soleil, fait remarquer la Pr Goossens.
Étiquetage complexe
Un problème se pose également au niveau de l’étiquetage des produits naturels qui induit beaucoup de confusion. « Le nom INCI fait appel au nom latin des plantes qui n’est souvent pas reconnu par le consommateur, ni même parfois par les médecins », constate l’allergologue. Avec l’engouement pour le bio et le naturel, la phytothérapie est aussi de plus en plus utilisée. Et la source de sensibilisation peut être autre que médicamenteuse, cosmétique ou au contact direct avec les plantes. « Le risque d’eczéma est ici assez grand, souvent sévère, avec une polysensibilisation extrêmement fréquente », décrit la Dr Martine Avenel-Audran, dermatologue au CHU d’Angers. Là encore, « les marqueurs de l’allergie aux plantes de la batterie standard ou des batteries spécialisées ne permettent pas de tout détecter. En cas de positivité d’un ou plusieurs marqueurs, il reste donc essentiel de tester les produits utilisés et détailler leurs composants », conclut la Dr Avenel-Audran.
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