Santé des seniors

Santé mentale : la vieillesse psychique relativement précoce

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Publié le 28/11/2022
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Crédit photo : GARO/PHANIE

Comme le souligne le Dr Sabine Texier, psychiatre à l’EPSM Sud Bretagne, « 65 ans correspond à l’âge de multiples ruptures susceptibles d’impacter la santé mentale ». D’autant qu’à la soixantaine, les capacités d’adaptation s’émoussent. « En particulier chez des personnalités déjà rigides, susceptibles de se durcir plus encore », précise le Dr Christophe Bouché, responsable de l’unité de psychiatrie de la personne âgée de la Pitié-Salpêtrière – hôpital Cochin (AP-HP).

Principale rupture : le départ à la retraite, ce changement de rythme de vie pouvant révéler ou précipiter des pathologies jusqu’alors masquées. « On découvre à la retraite des bipolarités chez des sujets qui ont pu faire d’une hypomanie un avantage dans leur vie professionnelle », rapporte le Dr Bouché. Des troubles du spectre de la schizophrénie peuvent aussi se dévoiler. « On rencontre des sujets qui avaient une symptomatologie à bas bruit, contenue par leur environnement professionnel, que le stress du départ à la retraite rend plus bruyante », indique le Dr Texier.

Mais la retraite semble surtout favoriser les troubles anxieux et les dépressions. « Chez ceux qui couraient plus vite que leur dépression, ou chez ceux qui ont surinvesti leur vie professionnelle au détriment de leur vie personnelle, le fait de s’arrêter ramène ou crée des souffrances », explique le Dr Bouché. D’autant que la retraite peut générer divers facteurs de stress : difficultés sociales (isolement), financières, etc.

Un sous-diagnostic fréquent

Plus globalement, la soixantaine est souvent l’âge d’une redéfinition de l’identité, notamment sociale – avec ce nouveau statut de « retraité » – mais aussi familiale – « certains deviennent aussi grands-parents », illustre le Dr Texier. De plus, avec l’arrivée de difficultés d’ordre physique, « on s’aperçoit qu’on court moins vite, qu’on saute moins haut, avec un impact sur l’estime de soi », ajoute le Dr Bouché.

D’ailleurs, ces pathologies somatiques (ou leur traitement) peuvent elles-mêmes générer des pathologies psychiques – le Dr Texier évoquant des dépressions post-AVC ou liées à un traitement par interféron –, voire seulement s’exprimer par des symptômes psychiatriques. « D’où l’importance du diagnostic différentiel somatique, en particulier chez les personnes sans antécédent psychiatrique », insiste-t-elle.

De plus, chez les jeunes seniors, l’expression des maladies psychiatriques change. Par exemple, la dépression se manifeste davantage par de l’irritabilité ou des formes délirantes. D’où un sous-diagnostic, favorisé encore par une tendance à la banalisation, déplore le Dr Bouché, alors même que la prévalence du suicide reste plus élevée chez les plus de 65 ans.

En outre, à la soixantaine, la sensibilité aux traitements n’est plus la même. D’où, notamment, un impact sur les posologies. Selon le psycho-gériatre, « le cerveau se fragilisant avec l’âge, il faut taper plus fort que chez le jeune en augmentant les doses ».

Ainsi, « le début de la soixantaine correspond bel et bien à la tranche d’âge à laquelle on entre dans la vieillesse, au sens psychiatrique », résume Christophe Bouché. D’ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé fixe le curseur à 65 ans. Et alors qu’en médecine physique, les centres de gériatrie accueillent surtout des sujets de plus de 70-75 ans, nombre de services de géronto­psychiatrie admettent des patients plus jeunes.


Source : Le Généraliste