Dans les pays développés, 30% des enfants de moins de 15 ans sont aujourd’hui allergiques. L’augmentation de la prévalence de l’allergie alimentaire chez l’enfant est de l’ordre de 5 à 6 % actuellement, 2 à 3 fois plus fréquente que chez l’adulte. L’Organisation mondiale de la santé classe les maladies allergiques au quatrième rang des maladies chroniques.
L’allergie constitue un problème quotidien de consultations et ses répercussions sont multiples : altération de la qualité de vie, troubles psychologiques, impact familial, scolaires et elles sont responsables d’un coût de santé élevé. « Leur prévention est une nécessité qui s’impose, insiste le Dr Bidat, et cela dès le plus jeune âge. »
Les connaissances fondamentales récentes sur les mécanismes d’éclosion de l’allergie montrent que celle-ci est liée à la non-acquisition de la tolérance vis-à-vis d’un allergène, ou, quand l’allergie apparaît plus tardivement, à la perte de la tolérance vis-à-vis de l’allergène qui jusqu’à présent n’entrainait pas de signe clinique. La principale nouveauté est donc la place majeure du phénomène de tolérance vis-à-vis d’un allergène.
Les études récentes montrent que c’est en facilitant l’acquisition d’une tolérance que l’on peut prévenir le développement des maladies allergiques. Cette découverte fondamentale, confirmée par des études cliniques, a des conséquences pratiques dans la prévention des allergies qui révolutionnent nos habitudes et le confort des patients. Ainsi, les règles d’éviction alimentaire ou d’introduction tardive traditionnellement recommandées chez le nouveau-né et le nourrisson pour prévenir l’apparition d’une allergie ou le développement de manifestations allergiques sont actuellement remises en cause et semblent obsolètes, voire nuisibles.
TROIS NIVEAUX DE PRÉVENTION
En matière de prévention, l’attention doit prioritairement cibler les enfants à risque : en cas d’allergie chez un seul parent ou dans la fratrie le risque de développer une allergie est respectivement de
20 et 32 %, il est de 40 % en cas d’allergie bi-parentale et de 70 % si les deux parents ont la même manifestation allergique. Le risque est de 12 % chez les enfants indemnes d’antécédents allergiques familiaux.
Etienne Bidat remarque cependant qu’un simple calcul permet de déterminer que les parents non allergiques donnent naissance à autant d’enfants allergiques que ceux dont au moins un des deux est atteint d’affection allergique, aussi il conseille d’appliquer les mesures de prévention qui ont fait la preuve de leur efficacité et qui sont peu contraignantes à tous les enfants.
-› Actuellement on considère qu’il existe trois niveaux de prévention.
? La prévention primaire concerne les enfants sans aucune manifestation atopique. Elle vise au blocage des mécanismes immunologiques de sensibilisation surtout IgE dépendantes, pour éviter l’apparition d’une allergie chez l’enfant (3), c'est-à-dire à diminuer l’incidence de nouveaux cas de maladie allergique.
? La prévention secondaire a pour objectif d’empêcher l’apparition de manifestations allergiques chez le sujet sensibilisé par la prévention ou le blocage de l’apparition de signes ou de maladies allergiques (asthme, rhinite allergique, eczéma atopique…) en rapport avec une sensibilisation déjà présente.
? La prévention tertiaire cherche à limiter ou à prévenir l’aggravation des manifestations allergiques chez des enfants ayant déjà présenté des signes d’allergie importants.
Le Dr Etienne Bidat souligne que « la difficulté vient de ce qu’une même mesure peut avoir des effets opposés suivant le stade de maturité immunologique de l’enfant. Ce qui est efficace pour prévenir l’apparition d’une allergie chez l’enfant peut être nuisible chez un enfant déjà allergique. Ainsi un sujet allergique aux chiens ou aux chats à tout intérêt à les éviter pour prévenir l’apparition de manifestations allergiques, c’est une prévention tertiaire, en revanche, on sait aujourd’hui qu’il est plutôt bénéfique d’être en contact avec des chats ou des chiens pour prévenir la survenue de ces allergies, c’est une prévention primaire. »
LA PRÉVENTION PRIMAIRE : FAVORISER LA TOLÉRANCE
Jusque récemment, la prévention primaire de l’allergie reposait sur le dogme de l’éviction. Pour éviter l’apparition de l’allergie, il était conseillé de retarder le plus possible le contact avec l’allergène notamment les aliments dits allergisants. Dans les recommandations américaines de 2000, on préconisait encore de retarder l’introduction des œufs à l’âge de 2 ans, du poisson à 3 ans; entre-temps, on s’est aperçu que les enfants chez qui l’œuf était introduit après 8 mois présentaient davantage d’asthme et d’épisodes de sifflements que ceux qui en avaient reçu avant cette date. L’attitude était similaire pour les allergies respiratoires, la prévention reposant avant tout sur l’éviction des allergènes respiratoires.
-› Depuis, les récentes études montrant que l’allergie est une non-acquisition ou une perte de tolérance vis-à-vis d’un allergène, il en résulte que la prévention primaire passe plus par l’acquisition de la tolérance à un allergène que par son éviction ou le retard à son introduction. Pour autant, le contact avec l’allergène doit avoir lieu au moment optimal. On parle alors de "fenêtre de tolérance".
-› Aucune étude n’a montré d’effet préventif du « jus de soja » sur l’allergie alimentaire ou la dermatite atopique.
-› L’efficacité des probiotiques est encore en cours d’étude.
-› Pour l’introduction des aliments autres que le lait, il apparaît que la « fenêtre de tolérance » se situe entre 4 et 6 mois. Une introduction trop précoce - avant quatre mois- d’aliments autres que le lait augmente le risque allergique. Mais une introduction trop tardive serait néfaste à l’acquisition de la tolérance à l’allergène et faciliterait le développement de l’allergie. « L’alimentation doit être diversifiée dès 4 mois en commençant par des fruits et légumes cuits et variés puis en introduisant viande et poisson et à 6 mois l’œuf. » A noter que cette « fenêtre de tolérance » semble aussi exister pour la mise en contact avec les pneumallergènes.
-› Pour autant, tout n’est pas résolu et le Dr Bidat précise qu’il reste des incertitudes et des doutes qu’il faut savoir partager avec les patients. « Nombre de questions ne sont pas encore résolues : faut-il diversifier plutôt à 4 ou à 6 mois en fonction des antécédents ? Faut-il que la diversification soit libre comme le suggèrent les recommandations internationales ou respecter un ordre d’introduction des aliments ? Jusqu’à quel âge est-il préférable de promouvoir un allaitement maternel exclusif ? Faut-il introduire précocement des aliments à fort potentiel allergénique et à quel âge - comme cela est en cours d’étude pour l’arachide chez des enfants atteints d’eczéma atopique ? »
-› L’inutilité d’un régime pendant la grossesse est maintenant bien établie et l’Académie Américaine de pédiatrie, en 2008, recommande de s’abstenir de tout régime d’éviction pendant la grossesse et l’allaitement.
-› L’efficacité de l’allaitement au sein dans la prévention de l’allergie reste controversée, certaines publications retrouvent un effet protecteur, d’autres ne retrouvent pas ce bénéfice. Malgré cela, l’allaitement maternel fait l’objet d’une recommandation consensuelle dans la prévention de l’allergie alimentaire pour tous les enfants qu’ils soient ou non à risque. Il a un effet préventif sur la survenue d’un eczéma si les deux parents ont des manifestations d’atopie. En revanche, il ne prévient en aucun cas l’apparition d’un eczéma chez les enfants dont les deux parents ne sont pas atopiques.
PRÉVENTION SECONDAIRE : PAS D’ÉVICTIONS ABUSIVES
« L’objectif de la prévention secondaire est de prévenir de nouvelles manifestations allergiques. Par exemple, faire en sorte qu’un enfant ayant une rhinite allergique ne développe pas un asthme en sus. Et il faut se méfier d’évictions pouvant être nuisibles », précise le Dr Bidat.
? Il ne semble pas actuellement justifié de refuser un animal à des enfants atopiques mais non allergiques à l’animal. Un enfant dont les tests montrent une sensibilité aux poils de chat sans pour autant provoquer de manifestation allergique à leur contact ne doit pas être privé de leur présence.
? L’arrêt de l’ingestion d’un aliment toléré peut s’accompagner d’une perte de tolérance pour cet aliment, surtout chez les sujets sensibilisés à l’aliment. Et ce, quel que soit l’aliment. « Les régimes d’éviction systématiques à partir de tests ne devraient plus être conseillés. Si un enfant a un eczéma non amélioré par l’éviction du lait, cette éviction ne doit pas être maintenue. Un test positif à l’œuf ne justifie aucune exclusion si l’enfant ne réagit pas à sa consommation. »
? Le régime doit être adapté en fonction de l’âge de l’enfant, de l’aliment et de la dose réactogène. Ces régimes plus souples et adaptés à chaque situation altèrent moins la qualité de vie qu’un régime strict qui est rarement justifié.
En dehors des exceptionnels enfants réagissant à des doses infimes, il paraît plus risqué d’inciter à un régime strict qu’à un régime adapté à la dose déclenchante déterminée d’après l’analyse des incidents et, dans certains cas, par un test de provocation orale.
PRÉVENTION TERTIAIRE DES ALLERGIES ALIMENTAIRES : L’IMMUNOTHÉRAPIE
Chez les enfants ayant une allergie alimentaire persistante, le seul traitement qui était disponible était le régime d’éviction de l’aliment en cause. Ce régime est difficile, parfois carencé et marginalise ces enfants (cantine, goûter d’anniversaire,…). Le risque d’accident allergique est non négligeable car les trophallergènes le plus souvent en cause chez l’enfant entrent dans la composition de très nombreux produits industriels. Ce risque potentiel oblige ces enfants à avoir sur eux en permanence une trousse d’urgence.
-› « L’immunothérapie ou la désensibilisation est le seul traitement qui permet de modifier le cours de la maladie quand l’allergie alimentaire perdure, que son évolution n’est pas spontanément favorable et quand elle est responsable d’une mauvaise qualité de vie, mais ces thérapies doivent être réservées aux centres spécialisés. » Une induction de tolérance orale aux aliments, ou une immunothérapie à l’aliment en cause, peuvent être tentés ; l’objectif étant d’aboutir à une désensibilisation, ou mieux à une tolérance à cet aliment.
L’immunothérapie aux aliments a été essayée avec succès par voie orale avec une progression très lente ou par une technique accélérée, par voie sublinguale, par voie épicutanée. Elle a été testée pour de nombreux aliments, mais les séries concernent principalement le lait de vache, l’œuf de poule et depuis peu l’arachide.
-› Tous les patients ne répondent pas à l’immunothérapie. Le profil des « répondeurs » est à préciser, la motivation et l’éducation des familles sont un élément crucial. Des travaux complémentaires restent à faire afin de définir les paramètres prédictifs d’une réponse favorable et de l’acquisition de la tolérance.
-› Mais, dès maintenant, pour ces enfants présentant une allergie alimentaire persistante, l’immunothérapie aux aliments a bouleversé leur prise en charge. Une fois la tolérance acquise, l’ingestion régulière de l’aliment est nécessaire pour maintenir cette tolérance.
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