C’EST UNE NOUVELLE procédure, qui offre aux citoyens la possibilité de contester la constitutionnalité d’une loi. Une patiente (Danielle S.), bien informée, ne s’en est pas privée et a ainsi posé une « question prioritaire de constitutionnalité » au Conseil d’État, qui lui-même a saisi le Conseil constitutionnel, au sujet de 8 articles du code de Santé publique relatifs à l’hospitalisation sans consentement et en particulier à l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT). Et c’est la première fois que le Conseil constitutionnel rend une décision sur une question concernant les droits et libertés des malades mentaux.
La requérante contestait d’une part les conditions mêmes de l’HDT, d’autre part l’insuffisance des droits des personnes hospitalisées sans leur consentement (HDT ou HO, hospitalisation d’office).
Sur le principe même de l’admission en HDT, les Sages ont jugé que ses dispositions sont conformes à la Constitution, puisqu’elles « assurent que l’hospitalisation n’est mise en œuvre que dans les cas où elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à l’état du malade ». Ils considèrent en revanche que les dispositions concernant la prolongation de l’hospitalisation sous contrainte à la demande d’un proche sont contraires à l’article 66 de la Constitution, qui exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle », comme c’est déjà le cas pour la garde à vue ou la rétention administrative des étrangers. En l’espèce, passé un délai de 48 heures, la prolongation de la privation de libertés ne peut se faire que sur décision judiciaire. Le Conseil constitutionnel a estimé que cette hospitalisation sous contrainte ne pouvait être prolongée au-delà de quinze jours sans l’intervention d’un juge.
Bonne nouvelle mais...
« Nous sommes très heureux que le Conseil constitutionnel se soit prononcé sur la constitutionnalité de cette procédure, se réjouit le Dr Angelo Poli, président du SPEP (Syndicat des psychiatres d’exercice public). Personne ne s’était posé la question depuis 1990. Pas même le gouvernement. . Ni les syndicats, semble-t-il, du moins pas le SPEP. « Cette décision pose la question de la judiciarisation de cette procédure. Encore faudra-t-il, modère-t-il toutefois, que l’indépendance du juge soit garantie. »
Pour le Dr Floriane Richard, assistante spécialiste en psychiatrie et membre du Directoire du groupe hospitalier Paul Guiraud à Villejuif (l’un des trois hôpitaux psychiatriques les plus importants de France), la décision du Conseil constitutionnel est une « bonne nouvelle au regard des libertés individuelles ainsi que des normes européennes ». En revanche, son application (l’intervention systématique d’un juge au bout de 15 jours d’HDT) semble poser de nombreuses questions pratiques. D’abord, le délai de 15 jours n’est « pas vraiment compatible avec la clinique », explique la psychiatre. « Il est excessivement rare d’obtenir une adhésion du patient aux soins au bout de 15 jours dans le cadre d’une HDT. Il faut plutôt compter trois semaines-un mois, car les traitements mettent du temps pour montrer leur efficacité. » Ensuite, on peut se demander comment les juges seront en mesure de se prononcer sur la pertinence des soins, s’ils ne reçoivent pas de formation clinique. « Des patients peuvent sembler moins malades qu’ils ne le sont vraiment et peuvent tromper le jugement d’un magistrat lors d’un unique entretien, alors que nous les suivons depuis deux semaines, que nous les voyons recracher leurs médicaments etc ».
Plus de sens, moins de dossiers.
Cette déresponsabilisation des médecins ne deviendra-t-elle pas une farce ? Tout comme les préfets signent des HO (hospitalisations d’office) à la seule lecture de certificats médicaux, les juges se prononceraient sur le maintien d’un HDT au regard de ces mêmes certificats... Se pose alors la question du secret médical et de la coordination entre juges et médecins. C’est donc une « avancée au plan éthique mais en pratique, cela risque d’être compliqué ». D’autant que les juges ne sont déjà pas assez nombreux. « Auront-ils le temps de se déplacer pour rencontrer les malades ou bien devrons-nous les déplacer nous-mêmes alors qu’ils ne sont souvent pas en état ? Je pense qu’il faudrait au moins envisager des délais plus longs, ce qui donnerait plus de sens à la décision des juges et... moins de dossiers à traiter », résume la jeune psychiatre. En France, 62 155 patients sont actuellement hospitalisés sans consentement (en HDT). Pour plus de la moitié d’entre eux, la durée du séjour dépasse les deux semaines. Plus de 30 000 personnes sont donc concernées par cette mesure.
Le Conseil n’a pas défini les modalités d’intervention du juge, estimant qu’elles relèvent de « la compétence du législateur, à qui il appartient de fixer les règles les plus adaptées à la situation des malades et à l’examen de la question de la nécessité de l’hospitalisation ». L’application de la décision est demandée pour le 1er août 2011. Le législateur a donc huit mois pour la mettre en œuvre. Il faut souhaiter qu’il fasse preuve de son meilleur sens pratique.
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