Le point de vue du Dr Fabrice Denis*

Patients 2.0 : la nouvelle dynamique de l’expérience patient

Publié le 23/06/2020

Suite à l'étude d'Ethan Basch en 2017, cet oncologue du Mans a participé à une étude démontrant un gain en survie avec une étude française. Le dispositif mettait en place un parcours de soins innovant via une application web pour les malades qu'il a ensuite développée en partenariat avec l'institut Curie.

Crédit photo : DR

Le parcours de soins des patients atteints de maladies chroniques est en pleine révolution. Dans le domaine de la cancérologie, un nouveau paradigme est né : le suivi des patients par leurs expressions de résultats et de symptômes à travers des applications de e-santé ePRS ou PRO pour (patient-reported outcomes en anglais).

Il y a plus de 300 000 applications de santé bien-être disponibles dans différents pays et sur différents « stores ». Environ 300 ont fait l’objet d’une évaluation clinique où sont en cours d’évaluation au travers d’études randomisées pour en évaluer le bénéfice. Cinq ont montré un bénéfice en survie globale par rapport à une prise en charge classique, principalement dans le domaine de la télésurveillance. Ces applications entrent dans le domaine nouveau des thérapies digitales. Et actuellement, en France, trois applications font l’objet d’un remboursement par les autorités : deux en diabétologie (Diabeo, Diabeloop) et une en cancérologie (Moovcare, Sivan Innovation).

Cette application a comme indication la détection de récidives et complications chez des patients ayant eu un premier traitement d’un cancer du poumon. Elle est prescrite par les oncologues, pneumologues et chirurgiens thoraciques. Le patient reçoit un e-mail chaque lundi lui permettant d’ouvrir l’application. 12 questions lui sont posées sur son poids, d’éventuels problèmes d’appétit, de douleur, d’essoufflement, de fatigue etc.

Un algorithme va analyser l’association et la dynamique des symptômes et si certaines règles sont remplies, envoyer un SMS et un e-mail d’alerte à l’infirmière de coordination de l’établissement d’origine ainsi qu’à l’oncologue référent. Le patient sera contacté directement par téléphone et une consultation anticipée avec une éventuelle imagerie associée sera proposée rapidement avec son médecin généraliste ou son spécialiste.

Cette application a été évaluée chez plus de 300 patients afin de concevoir un algorithme le plus spécifique possible, et pour démontrer son bénéfice dans une étude randomisée avec comme critère principal la survie globale. Les résultats ont montré un bénéfice en survie globale de 7 mois par rapport à un suivi classique par consultation et scanner planifiés (Denis et al, Jama 2019). Cette étude a été confirmée par une étude américaine confirmant un bénéfice en survie globale par ce type de suivi rapproché impliquant le patient directement. (Basch et al, Jama 2017).

Nouveau parcours de soins

Ce principe de suivi du patient à partir de ses propres symptômes remet au cœur du parcours de soins le patient qui est acteur de son suivi et permet de réaliser un vrai suivi personnalisé. En effet, le suivi classique des patients en cancérologie consiste généralement en des consultations et examens d’imagerie à intervalles réguliers tous les deux à six mois. Or, bien souvent, des patients symptomatiques préfèrent attendre ces consultations planifiées avec des symptômes, ce qui peut provoquer un diagnostic tardif d’une récidive et un moins bon pronostic. Dans ce type d’approche, la prise en charge est réalisée dès les premiers symptômes rapportés par le patient ce qui permet en moyenne de gagner six semaines dans le diagnostic de récidive ou de complications en allant chercher les patients qui ne vont pas bien. La récidive n’a en effet pas lieu en général le jour des consultations systématiques, donc mieux vaut s’adapter à chaque patient par une approche directe de transmission de ces symptômes à l’équipe soignante.

Bien sûr, ce type d’outil permet une prise en charge précoce des symptômes avec des soins de support adaptés ainsi qu’une amélioration de la prise en charge des effets secondaires des thérapies, ce qui en optimise la compliance et l’efficacité.

Contrairement aux médicaments pour lesquels le patient entre finalement assez tardivement dans le développement clinique, le développement de tels outils de suivi des patients nécessite une intégration des patients dès les toutes premières étapes de développement technologique. En effet, le patient étant directement acteur de son suivi, chaque mot dans les questionnaires, chaque règle algorithmique et toute l’ergonomie d’utilisation de l’application sont réalisées et évaluées avec les patients à tous les stades du développement. Bien sûr, l’évaluation clinique de l’efficacité est réalisée dans le cadre d’essais cliniques obéissant aux mêmes règles que celle du développement clinique de médicaments.

Cette approche deviendra obligatoire aux USA à partie de 2021 et s’étendra dans d’autres domaines que la cancérologie (cardiologie, psychiatrie, maladies auto-immunes…)

* Dr Fabrice Denis MD, PhD oncologie radiothérapie expert e-santé/télémédecine Institut inter-régional de cancérologie Jean Bernard du Mans

Source : Le Quotidien du médecin