LE QUOTIDIEN : Pourquoi avez-vous voulu devenir chirurgienne ?
DR ALIDA SIDI. J’ai 36 ans. Je suis camerounaise et j’ai fait mes études au Sénégal où j’exerce actuellement. La décision de faire médecine venait de mes parents, ma mère est microbiologiste et mon père enseignant. Je suis à l’origine chirurgien pédiatre, et je me suis spécialisée dans le maxillo-facial, une discipline que j’ai connue grâce à l’ONG Smile Train, qui opère des personnes victimes de fentes labiales.
Comment avez-vous connu Mercy Ships ?
En 2020, l’ONG a noué un partenariat avec mon hôpital, mais a dû partir du pays en 2021 à cause du Covid alors qu’elle avait déjà sélectionné des patients à opérer, dont certains m’ont été confiés. En 2022, quand le bateau (Global Mercy) est revenu, nous avons reçu en dons de Mercy Ships des lits d’opération, des réfections de blocs, etc, mais aussi des formations à destination du personnel de bloc qui ont été en mesure d’apprendre sur le bateau. J’y ai été intégrée. Je faisais déjà de la chirurgie, mais je n’étais pas satisfaite des résultats.
Comment s’est passée la formation sur le bateau ?
J’ai reçu trois semaines de formation et une de perfectionnement. Mon premier professeur a été le Dr David Chong, qui est un funny guy. Cela a été très bénéfique et a complètement changé ma pratique. J’ai aussi appris à être plus sympa avec moi-même. La chirurgie maxillo-faciale est un défi car on travaille sur le visage et le résultat dépend des attentes des patients. J’ai eu l’occasion de voir ce qu’il se passe ailleurs car ici, on peut rencontrer des chirurgiens et des médecins qui viennent du monde entier et qui ont des cultures de bloc différentes.
Avez-vous changé vos pratiques au sein de l’hôpital où vous exercez ?
Mercy Ships a changé complètement mes pratiques et l’organisation de mon service. Cela n’a pas été facile de changer le mode de fonctionnement du personnel. Dans mon hôpital sénégalais de Thiès, contrairement à celui de Mercy Ships, j’ai une seule aide. Nous avons huit personnels pour trois blocs, qui gèrent tout, stérilisation, aides opératoires, etc. Quand nous opérons, même en termes d’instruments, nous n’avons pas beaucoup le choix. Je dispose de trois spatules pour ma chirurgie et ce sont les instruments avec lesquels j’ai l’habitude de travailler. Nous sommes limités en moyens, nos salaires sont parfois versés en retard de plusieurs semaines, les prix des interventions sont modérés, car notre hôpital fonctionne avec les dons. Je ne suis pas surprise des difficultés d’accès aux soins que je vis aussi au Sénégal. En Afrique, la santé est une priorité secondaire. Il n’existe pas de couverture maladie satisfaisante et pas pour tout le monde. Je dois régler mes frais dentaires pour mes enfants et moi. À la suite de mon expérience avec Mercy Ships, j’ai transformé ma relation avec les patients. Cela vient du fait que sur le bateau, on rend l’endroit moins stressant. Par exemple, retenir les prénoms des enfants rend les parents visibles et change le lien avec eux. Aux enfants malades, je me présente ainsi : « Je suis la tata ! »
Que pensez-vous de la formation sur le bateau ?
Quand j’y suis arrivée la première fois, j’ai été très enthousiaste. Je me suis sentie dans la caverne d’Ali Baba. Les soins qui y sont prodigués sont de haute qualité. Sur le bateau, on fonctionne toujours par paire de chirurgiens. L’expérience dépend beaucoup du chirurgien partenaire et de la bonne entente avec lui. Il faut le savoir, Mercy Ships forme aussi des médecins au Sénégal et au Cameroun. Certes, il faudrait une plus grande implication des médecins africains, mais ce n’est pas facile pour eux de s’impliquer à un tel niveau, car nos salaires sont très bas. Le pouvoir financier n’est pas le même.
À l’hôpital Bethany de Tamatave, un partenariat gagnant gagnant
Lorsqu’on arrive devant l’hôpital Bethany, inauguré en 2019 avec le soutien des communautés religieuses locales, la première surprise vient de l’absence d’indication. « Le panneau est tombé », sourit le Dr Fabruce, malgache, généraliste, chirurgien général et fondateur de l’établissement, soutenu par Mercy Ships. Ce dernier est sorti de terre grâce à son impulsion et à celle de sa femme, elle aussi médecin. « Au début, on travaillait à la lampe frontale, se souvient-il. Des amis sont venus nous donner un coup de main. Nous manquions de place. Nous avons loué ce hangar que nous avons réussi à agrandir avec des containers. » L’établissement a commencé à travailler avec 18 personnels seulement, dont les deux médecins. Aujourd'hui, il offre 35 lits, avec une équipe composée de 13 praticiens, dont 8 à temps plein, et 70 personnes.
Le Dr Fabruce décrit les difficultés des débuts dans un contexte d’épidémie de rougeole. L’hôpital Bethany a été soutenu par des donateurs tels que Mercy Ships et l'Académie panafricaine des chirurgiens chrétiens. Les pathologies les plus fréquentes sont des occlusions, des appendicites, souvent traitées très tard, du diabète, etc.
Dans la structure, on trouve tout ce qu’il faut pour se faire soigner, dont une maternité, des salles d’accouchement, deux blocs opératoires (dont l’un vient d’être assaini et repeint), six salles de consultation, une pharmacie, un laboratoire de biologie, une salle de radiographie et une salle dentaire.
Pour des raisons réglementaires, il est parfois difficile de trouver certains produits d’anesthésie, voire de parvenir à récolter des poches de sang. C’est un obstacle qui vient se rajouter au manque de moyens.
L’élément clef de cette structure est son alliance avec Mercy Ships qui lui envoie des malades trop complexes à opérer sur le bateau. En échange, l’ONG apporte des aides en financement et en matériel. Et réfléchit à une stratégie pour construire un nouvel hôpital.
En attendant, le Dr Fabruce, qui loge au-dessus de l’hôpital, ne chôme pas. Il a un rêve : pouvoir aller soigner les gens dans les zones rurales. « Nous recevons beaucoup de jeunes malades atteints de cancer, pris beaucoup trop tard. Même si on les opère, nous n’avons pas les traitements pour les soigner », regrette-t-il. Mais cette sensibilisation dans les campagnes est encore trop compliquée à mettre en œuvre. Le praticien souhaiterait contribuer à son niveau à augmenter l’espérance de vie de la population. Elle est à la naissance de 63 ans chez les hommes et de 68 ans chez les femmes.
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