Le point de vue du Pr Paul Balandraud*

La préparation des chirurgiens est encore hétérogène, mais les outils existent

Publié le 12/11/2019

Auteur d'une enquête pour l'Association française de chirurgie (AFC) sur la préparation de sa discipline aux risques d'attentats, ce chirurgien de Toulon rappelle que l'hyperspécialisation actuelle des chirurgiens ne concourt pas à l'optimisation de la prise en charge des blessés en cas d'attentats. Mais il salue les initiatives récentes dans le domaine de la formation.

Crédit photo : DR

La prise en charge d’afflux de blessés par attentats dans un hôpital fait appel à des compétences individuelles particulières car il s’agit de plaies par armes de guerre, mais aussi à des compétences d’équipe car il s’agit de traumatologie grave qui laisse peu de place à la réflexion en concertation pluridisciplinaire. L’hyperspécialisation des professionnels de santé, notamment des chirurgiens, associée au mode de fonctionnement contraint de nos hôpitaux, font qu’il est licite de se poser la question de notre état de préparation face à la survenue d’afflux saturants par attentats.

Du point de vue chirurgical tout d’abord, si les chirurgiens orthopédistes sont rompus par nature à la traumatologie, les chirurgiens viscéralistes le sont moins, alors que ce sont eux qui sont le plus concernés par les urgences vitales hémorragiques. Ce sujet sensible a fait récemment l’objet d’une enquête nationale auprès de l’ensemble des chirurgiens de l’Association française de chirurgie (1) : le chirurgien le plus à l’aise en situation d’attentat a plus de 35 ans, il a des formations complémentaires en traumatologie, travaille dans un trauma center, effectue régulièrement des interventions « lourdes » non traumatologiques, et enfin il a l’habitude de réaliser des gestes qui ne relèvent pas de sa spécialité. Au final la formation des chirurgiens est hétérogène, et la plupart des chirurgiens expriment un besoin en formation théorique, technique, et organisationnelle, la grande majorité d’entre eux n’ayant jamais eu l’expérience d’un afflux ou n’ayant pas participé à des exercices plans blancs.

Une FST bienvenue en chirurgie de catastrophe

Alors que la réforme des études médicales induit une spécialisation plus marquée, une Formation Spécialisée Transversale (FST) en chirurgie de guerre et de catastrophe a été créée. Inspirée d’une formation dédiée aux chirurgiens militaires effectuant des missions extérieures, cette FST apportera aux chirurgiens volontaires des compétences techniques en traumatologie de guerre dans leur spécialité d’origine, mais aussi en dehors de ce domaine, ainsi que dans le domaine organisationnel. Ces chirurgiens auront une vision globale des situations d’afflux par blessés de guerre, ce qui leur conférera une position de référents chirurgicaux dans le domaine pluridisciplinaire de la traumatologie de masse.

D’une manière plus générale, l’enseignement à la prise en charge des situations d’attentats reste difficile car ces situations sont – heureusement – rares. Si les compétences individuelles peuvent être acquises indirectement par le biais de situations hémorragiques, traumatiques ou non, les compétences d’équipe doivent être améliorées par différents moyens : protocolisation des procédures d’accueil des traumatisés graves, séances de type cockpit resource management (CRM), entraînements à des plans blancs selon de nouvelles modalités.

La protocolisation des procédures d’accueil des traumatisés graves, telle qu’elle est faite dans les trauma center, peut l’être dans tout hôpital. Elle implique un travail d’amont où chirurgiens, réanimateurs, urgentistes et personnels paramédicaux étudient ensemble puis valident toute la procédure afin que chaque professionnel y trouve sa place sans qu’il y ait de discussion au moment voulu.

Les séances de type CRM, inspirés de l’aéronautique, mettent en scène des prises en charge en salle d’accueil des urgences vitales, où les interactions entre professionnels de santé sont analysées et discutées, instaurant la confiance chez chaque professionnel.

Exercices de simulation et serious game

Enfin, les exercices plan blanc gagneront à se faire par des jeux de rôle multi-acteurs. Il existe par exemple le cours MRMI (Medical Response to Major Incidents) où des exercices de simulation sont assistés par des moniteurs. Dans un proche avenir les exercices se feront sur écrans sous la forme d’authentiques « serious games ». Ces derniers permettront de simuler différents types d’afflux massif, où les praticiens « joueurs » auront chacun un rôle (médecin directeur de crise, chirurgiens, médecins anesthésistes-réanimateurs, pharmacien, cadre de bloc opératoire, bed manager…). Des paramètres seront définis avant l’exercice, tels que nombre de lits, réserves en médicaments, produits sanguins et dispositifs chirurgicaux, ressources humaines disponibles sur place et sur appel… Les concepteurs de ces serious games considèrent que la participation à des exercices d’afflux massif sous cette forme sera plus large que ce qui est observé actuellement lors des exercices « taille réelle ».

En conclusion, si en effet on peut considérer que la préparation des hôpitaux français aux attentats est encore hétérogène, il existe déjà à ce jour des outils pédagogiques et de management qui permettront d’améliorer la formation et l’interaction des professionnels.

1. Balandraud P, Benizri E. Chirurgie d’urgence en situation d’attentat : rapport présenté au 121e Congrès français de chirurgie, Paris, 15-17 mai 2019. Arnette; 2019. (Monographies de l’AFC).

* Chef du service de chirurgie viscérale, Hôpital d'instruction des armées de Toulon (83)

Source : Le Quotidien du médecin