LE QUOTIDIEN : Dans la Manche, en Savoie, en Côte-d'Or, les services d'urgences sont allégés faute de médecins urgentistes. Qu'en pensez-vous ?
Dr PATRICK PELLOUX : Je suis très inquiet de l'évolution de la médecine d'urgence. Nous craignons que le métier se referme sur lui. Dans certains services, les urgentistes sont remplacés par des médecins généralistes. Les premiers sont cantonnés au SMUR, au déchocage et au "service porte" [unité d'hospitalisation de courte durée, NDLR], les seconds s'occupent de tout le reste. Cette vision élitiste du fonctionnement d'un service d'urgence est aux antipodes de la nôtre. Le métier doit se penser dans sa globalité. La médecine d'urgence est une spécialité médicosociale qui requiert des connaissances pluridisciplinaires. Or, elle est en train de se fracturer au lieu de devenir une spécialité à part entière. La médecine générale ne doit en aucun cas devenir le supplétif des carences du système ! Les coupables de ce genre de vision sont à rechercher parmi les hospitalo-universitaires éloignés de la réalité du terrain.
La réforme du troisième cycle n'est-elle pas une solution à la pénurie médicale ?
Certainement pas en transformant le DESC d'urgence, accessible à tous, en DES [la filière de médecine d'urgence en quatre ans sera proposée à la rentrée 2017, NDLR], qui va décourager encore plus les professionnels à faire le choix de la médecine d'urgence. J'y vois la mainmise des CHU sur les hôpitaux généraux, qui veulent créer des grands professeurs urgentistes, qui font de la recherche et publient à tour de bras. C'est une vision réductrice et dépassée du métier. Beaucoup de collègues vont finir par faire de la gériatrie ou du soin palliatif. Les spécialités doivent rester ouvertes ! Quand va-t-on se rendre compte que la médecine étouffe de la surspécialisation ? Les médecins généralistes qui veulent faire de l'urgence doivent pouvoir continuer à en faire. Et les hospitaliers qui veulent "descendre" à l'ancienne dans nos services pour faire des gardes, comme ça ce fait dans beaucoup d'hôpitaux, ne doivent pas être contrariés.
Le déficit d'urgentistes est réel. Que proposez-vous pour séduire de nouveaux médecins ?
Appliquer une bonne fois pour toutes la réforme du temps de travail ! Comment mieux reconnaître la pénibilité autrement qu'en comptant ses journées de travail en heure ? L'application des 39 heures permet de définir une frontière au-delà de laquelle les heures supplémentaires sont déclenchées. Vous travaillez 80 heures ? Soyez payés 80 heures. C'est une question de justice sociale. Toute autre forme de décompte, y compris en demi-journées, est une escroquerie. L'accord urgentistes est appliqué de façon beaucoup trop hétérogène et la Fédération hospitalière de France (FHF) n'arrange rien !
C'est dommage, car les centres hospitaliers qui appliquent la circulaire du 22 décembre 2014 constatent une amélioration du fonctionnement de leur service d'urgences. C'est une vraie source d'attractivité, qui endigue l'intérim et améliore les conditions de travail des confrères. Je rappelle que trois urgentistes sur quatre souffrent de burn-out avéré ou moyen. On ne fait pas ce métier pour finir dans un cercueil à 55 ans.
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