Un « succès » pour les doyens mais qui ne lève pas tous les doutes, loin s’en faut. Les 28 et 29 mai derniers, 7 879 étudiants en sixième année de médecine étaient convoqués pour passer les premiers Ecos nationaux. Une étape très importante vers l’internat puisque cet examen se voulait à la fois « validant et classant », les Ecos comptant pour 30 % de la note finale (60 % pour les épreuves dématérialisées nationales – EDN – et 10 % pour le parcours de formation). Après des périodes d’incertitude, les facultés ont applaudi la réussite de cette grande première. Plusieurs aspects restent cependant en travers de la gorge des doyens comme des étudiants.
Une logistique complexe
« Les Ecos se sont déroulés de manière très satisfaisante, sans problèmes majeurs à signaler », se félicitait officiellement la Conférence des doyens de médecine au lendemain des Ecos nationaux. Une heureuse surprise quand on sait que l’organisation de ces lourdes épreuves a été une prouesse logistique. « Tout s’est bien passé, certes, mais au prix d’un travail intense », confirme le Pr Jean Dellamonica, doyen de la fac de médecine d’université Côte d’Azur. D’après son homologue à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), plus de 1 500 heures de préparation ont été nécessaires pour organiser les Ecos de mai et plus de 1 000 autres pour la session test en mars. « C’est une organisation très complexe qui mobilise tout le monde, les enseignants, les personnels administratifs, confie ainsi le Pr Loïc Josseran. Beaucoup d’efforts ont été faits et après tout ce stress, on veut passer à autre chose. »
C’est une organisation très complexe. Après tout ce stress, on veut passer à autre chose…
Pr Loïc Josseran, doyen de l’université de Versailles-Saint-Quentin
Rien n’était joué d’avance. À quelques semaines des examens, certaines facs manquaient de matériel, d’enseignants et de patients standardisés, le tout dans un contexte de grève des hospitalo-universitaires le jour des Ecos nationaux. « On a su la veille que les épreuves auraient bien lieu, se souvient Quentin, étudiant en sixième année de médecine à Sorbonne Université. C’était une période de stress et d’incertitude. »
Un classement parfois chamboulé
Au-delà du volet organisationnel, certains étudiants ont trinqué. Si les épreuves dématérialisées nationales (EDN) d’octobre 2023 ont presque été une formalité, le suspense était à son comble pour ces Ecos, un saut dans le vide pour beaucoup. Le jour J, certaines stations ont laissé les carabins circonspects. « On était parfois complètement perdus, on ne savait pas ce qu’on attendait de nous », explique Quentin. Déjà bien classé, l’étudiant parisien a pourtant gagné 30 à 40 places selon les spécialités, lui permettant d’atteindre le top 100 dans huit classements.
Mais d’autres candidats ont eu de mauvaises surprises. « Les étudiants en milieu de classement ont pu gagner… ou perdre jusqu’à 2 500 places », précise le Pr Benoît Veber, à la tête de la Conférence des doyens de médecine. Laura*, étudiante en sixième année à Nice, a vu chuter ses chances d’obtenir son affectation idéale en perdant 500 places. « Quand j’ai vu les résultats, j’ai pleuré pendant deux heures, raconte-t-elle. Je pensais que, pour cette première session, les jurys seraient plus gentils sur les notes. »
Une « discrimination » assumée ?
D’après le Pr Jean Sibilia, doyen à l’université de Strasbourg, les Ecos nationaux ont été « plus discriminants » qu’imaginé. « Je pensais que les résultats se superposeraient à ceux des EDN », admet-il. Une position que réfute le Pr Marc Braun, doyen à l’université de Lorraine et initiateur de la réforme : « Oui, c’est discriminant et c’est ce qu’on voulait ! Des étudiants “honorables” peuvent se révéler très bons aux Ecos et ce sont eux qui m’intéressent. Il faut reporter nos exigences et savoir ce qu’on attend de nos futurs internes. »
Des étudiants “honorables” peuvent se révéler très bons à ces examens et ce sont eux qui m’intéressent
Pr Marc Braun, initiateur de la réforme
Mieux, selon lui, la prise en compte des Ecos dans le classement général gagnerait à évoluer pour passer de 30 % à 40 voire 50 % de la note finale ! Une progression envisageable puisque la loi prévoit seulement une pondération minimum. De quoi susciter l’inquiétude des carabins de l’Anemf. L’association nationale étudiante travaille, de son côté, sur le caractère classant des Ecos. « On souhaite toujours que cet examen devienne uniquement validant mais tout dépendra de la volonté politique », précise Lucas Poittevin, président de l’Anemf. Un avis partagé par les premiers étudiants concernés, qui estiment que les Ecos ne sont pas représentatifs. « Je n’ai pas l’impression qu’ils m’aient apporté grand-chose. L’empathie que l’on a dû démontrer pendant les stations était très artificielle », estime Quentin. « Je suis moins allée en stage pour reprendre mes révisions et, même si je trouve les Ecos intéressants au niveau de l’apprentissage, je pense que les résultats sont trop aléatoires », plaide Laura.
Cette situation a des conséquences majeures sur l’année prochaine. Pour éviter les déconvenues, de nombreux étudiants ont préféré redoubler leur cinquième année plutôt que de sauter dans le grand bain incertain de la réforme… Ainsi, à la rentrée 2025, le nombre d’étudiants en sixième année bondira de 10 à 15 % selon les facultés. « À Strasbourg, nous passerons de 210 à 370 étudiants, donc de cinq à huit circuits et de 58 à 104 examinateurs », s’inquiète le Pr Jean Sibilia. À Nice aussi, passer de quatre à cinq circuits puis six en 2026 ajoute une pression supplémentaire. « Cette année, mon bureau a été vidé pour y faire passer les Ecos. Je sens qu’on va avoir des années de galère… », redoute le Pr Jean Dellamonica.
Un coût non négligeable
Or les Ecos ont aussi un coût financier élevé pour les facultés. Cette année, les ministères concernés (Santé, Enseignement supérieur) ont accordé un peu plus de deux millions d’euros aux universités, soit environ 270 euros par étudiant. Mais d’après le Pr Veber, au sein de sa fac à Rouen, le coût direct par étudiant dépassait 380 euros. « Ce sont les universités qui ont absorbé la différence », explique-t-il.
Et sur ce plan, tout ne s’est pas passé comme prévu. Outre des crédits insuffisants pour accompagner la réforme, certains doyens n’ont pas reçu la totalité de leur budget. « Le président de l’université reçoit l’argent des ministères ; charge à nous, doyens, de récupérer ce financement », glisse Benoît Veber. L’ex-doyen de la faculté de médecine de Bordeaux, qui a quitté ses fonctions en décembre 2023, évoque même une « opacité » sur les budgets et « un circuit pas fluide ». « C’est beaucoup de soucis mais on a réussi à obtenir notre enveloppe », explique tout de même le Pr Pierre Dubus. À l’université Côte d’Azur, le Pr Jean Dellamonica assure avoir eu recours à ses ressources propres sans savoir si la faculté a reçu tous les crédits. Quant au Pr Loïc Josseran (UVSQ), il ne cache pas son agacement. « Il y a eu des guerres homériques pour prévoir des plateaux-repas pour les examinateurs, qui avaient tout juste trente minutes pour manger. On parle de quatre euros par personne... »
Dans quelques mois, les facultés de médecine rejoueront la même partition des Ecos nationaux… « On va râler, on dira qu’on n’a pas les moyens, mais on ira… », se résout un doyen. Une phrase un brin fataliste qui semble avoir un large écho dans les universités françaises.
*Le prénom a été modifié
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