Pendant un mois et demi, Audrey Bramly, interne en anesthésie-réanimation actuellement en disponibilité, a collecté des dizaines de témoignages de camarades pour étudier l’ampleur du harcèlement et des violences au sein de sa spécialité. Les retours qu’elle a reçus sont accablants :
« En quelques jours, j’ai reçu de nombreux messages, dont deux témoignages de viol. Je ne vais pas mentir, je ne m’y attendais pas, reconnaît-elle. Cela a été particulièrement difficile à lire, d'autant plus que bien souvent, les victimes sont terrorisées à l’idée que cela se sache et ne veulent pas porter plainte, redoutant des représailles. »
Six médecins mis en cause
Au total, la jeune praticienne a colligé une trentaine de témoignages et a répondu à une cinquantaine d’appels de camarades victimes de harcèlements ou de violences. Finalement, seuls les témoignages écrits ont été retenus pour mener à bien ce travail, réalisé dans une approche qualitative.
Certaines des situations vécues par ses camarades sont d’ailleurs rapportées dans son étude. « Plusieurs fois par garde, ce médecin me répétait que j’étais sexy, excitante, il me regardait de haut en bas et faisait des remarques sur mon physique », raconte une des internes interrogées. « Lors d’une prise de garde, mon supérieur s’est exclamé qu’il aurait préféré être avec moi ce soir car il est sexuellement actif », confie une autre.
Les propos dévalorisants ne sont pas rares non plus : « Il m’a dit que j’étais autiste, que je n’aurai aucun avenir professionnel », témoigne une étudiante.
Sur l’ensemble des récits étudiés dans l’étude, 33 % relèvent de déclarations de harcèlement sexuel, 22 % de harcèlement moral, 22 % d’agissements sexistes et 11 % de viol. « Le reste (12%) concernait des outrages ou des agressions sexistes », précise l’étudiante, qui est également membre du pôle de lutte contre les violences et du harcèlement au Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP).
L’ensemble des faits rapportés se sont déroulés entre 2018 et 2022. « Les 22 témoignages se recoupent systématiquement et ont permis d’identifier six médecins », détaille Audrey Bramly. La grande majorité des individus mis en cause exerçaient au sein de services d’anesthésie-réanimation d’hôpitaux parisiens de l’AP-HP. Un seul exerçait hors de Paris.
Milieu toxique
D’après l’étude, dans 77 % des cas, les personnes impliquées occupaient une position de supériorité hiérarchique. « Il s’agissait le plus souvent de praticiens hospitaliers (PH) ou de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH). C’était toujours des hommes », précise Audrey Bramly.
Par peur des répercussions pour leur carrière, les internes se retrouvent bien souvent « enfermés dans le silence ». « Ils subissent parfois des menaces, comme l’invalidation de leur stage ou la suppression de leur poste. Certains ont même confié que ces menaces avaient été mises à exécution », déplore l’interne.
Pour les victimes, ces expériences négatives entraînent la plupart du temps « une très grande détresse et beaucoup l’anxiété ». D’ailleurs, un tiers des répondants obtiennent un arrêt maladie à la suite de ces événements.
Selon Audrey Bramly, cette violence au sein des services d’anesthésie-réanimation serait systémique et liée à la présence plus importante d’hommes dans cette spécialité, comme dans d’autres comme la chirurgie. « Ce sont des milieux très masculins et souvent toxiques où les supérieurs se permettent de faire régulièrement des blagues graveleuses, confie-t-elle. À l’inverse, en neurologie ou en pédiatrie, les services sont majoritairement composés de femmes et il y a beaucoup moins de souci, c’est un fait. »
Étendre ce travail à d’autres spécialités
Pour aller plus loin, la jeune interne prévoit d’étendre son recueil à l’ensemble des services des spécialités médicales et chirurgicales des hôpitaux parisiens. Ses objectifs ? Prévenir le harcèlement sexuel et moral, accompagner les internes victimes de violences et offrir une aide juridique et psychologique via le SIHP. « Il faut que l’impunité cesse, que la honte change de camp et que les agresseurs soient condamnés », résume-t-elle.
Grâce à cette première enquête, présentée vendredi 20 septembre au congrès de la SFAR - Société française d'anesthésie et de réanimation, plusieurs des victimes ont déjà été mises en contact avec la cellule de lutte contre les violences au travail de l’AP-HP. Des enquêtes sont d'ores et déjà en cours.
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